lundi 29 octobre 2018

« Al-‘ârif billâh » et non pas « Le soufi d’Occident »

« Al-‘ârif billâh » et non pas « Le soufi d’Occident » 

Nous avons reproduit précédemment la traduction française faite par M. Raouf G. de deux des articles de René Guénon publiés en arabe  pour la revue al Ma’rifah.
Le texte arabe utilisé par le traducteur était celui reproduit dans un ouvrage de Abd-al-Halîm Mahmûd. Une partie de cet ouvrage a fait l’objet d’une traduction par Jean Gouraud sous le titre : Un soufi d’Occident, René Guénon, Shaykh ‘Abd-al-Wâhid Yahyâ, en 2007.
M. Guiderdoni a préfacé le travail de M. Gouraud. Et dans cette préface, il se félicite du détournement consternant opéré par le traducteur. Il écrit ainsi (p. 8, souligné par lui) :
« Il faut donc remercier le traducteur et présentateur de ce texte d’avoir écrit, comme titre de cet ouvrage : « Un soufi d’Occident ». A travers cette audace apparemment anodine, Abd-al-Wadoud Gouraud ne traduit pas seulement le terme ‘ârif billâh, « connaissant par Dieu », que le shaykh ‘Abd-al-Halîm Mahmûd emploie à propos de René Guénon dans le titre arabe de son livre. Abd-al-Wadoud Gouraud affirme aussi que c’est non seulement l’œuvre, mais l’exemple de René Guénon qu’il convient de suivre, celui d’une vie et d’une voie tout entières dédiées à l’Unique, Al-Wâhid, dont le Maître s’affirme être, par le choix de son nom islamique, le serviteur connaissant et aimant, un serviteur venu de France et installé sur la terre d’Egypte, car « à Dieu appartiennent l’Orient et l’Occident » [Coran, II : 115]. »

On pourrait voir dans ce passage comme un résumé de toutes les trahisons opérées au fil du temps par tous ces lecteurs de l’œuvre de René Guénon qui, n’ayant absolument rien compris, se sont convertis en masse à l’Islam, devenus tous sans le moindre obstacle des « soufis » dans la foulée. Les turuq sont tout aussi grandes ouvertes que le sont les loges maçonniques de toutes obédiences, aucun candidat n’est jamais refusé dans une tarîqa en Occident surtout s’il est « guénonien » et il n’est même pas nécessaire de connaître un mot d’arabe.
On peut difficilement être plus injurieux en qualifiant René Guénon symboliquement ainsi : d’ « Occident ». Il a toujours revendiqué son appartenance à l’ « Orient ». En faire un simple soufi est tout aussi ridicule. M. Guiderdoni s’accorde à nous inviter « à suivre » l’œuvre de René Guénon, qu’il n’a visiblement ni lue ni comprise, mais il va beaucoup plus loin jusqu’à l’instrumentalisation, il faudrait selon lui et M. Gouraud suivre l’ « exemple » de René Guénon. Ce dernier a pourtant toujours affirmé qu’il ne devait en aucun cas être pris comme exemple. Mais alors ce que l’on ne comprend pas c’est pourquoi tous ces « soufis guénoniens » ne sont pas partis vivre en terre d’Islam à l’exemple donc de René Guénon. Que font-ils en Occident ? Serait-il si difficile de renoncer au confort douillet de ce vilain monde moderne occidental.
Et M. Guiderdoni cite le Coran. Il est toujours très significatif de voir comment ces convertis qui sont plus musulmans que les musulmans de souche sont parfois capables de travestir ce texte qu’il devrait considérer comme sacré. Voici une traduction que l’on peut donner de ce verset 115 de la deuxième sourate :
« A Allah sont  l'Est (mashriq) et l'Ouest (marrib). Où que vous vous tourniez, là est la Face d'Allah, Allah est Immense, Omniscient. »
La notion mise en avant dans cette sourate est bien celle de « direction ». De ces deux termes arabes  (sous les effets de la convention orientaliste de transcription des lettres arabes) ont a fait les termes français Machrek et Maghreb. La France n’est ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux espaces.
Le traducteur M. Gouraud  nous offre une très longue introduction bien sectaire. Il nous donne aussi des indications sur l’auteur ‘Abd-al-Halîm Mahmûd qui semble fortement occidentalisé. On apprend ainsi (p. 19):
« Désireux de compléter sa formation supérieur, il y obtint, en 1940, [en Sorbonne] un doctorat sous la direction de l’orientaliste Louis Massignon, pour une étude consacré au célèbre savant et mystique du premier siècle de l’Hégire Al-Muhâsibî. (Thèse écrite en français par le Dr. ‘Abd-al-Halîm Mahmûd et parue sous le titre : Al-Mohâsibî : un mystique musulman religieux et moraliste, Geuthner, Paris, 1940). »
L’auteur ne verra d’ailleurs en René Guénon qu’un philosophe. Sa première étude consacrée à René Guénon (en 1954) le qualifie ainsi de al-faylasuf al-muslim (le philosophe musulman). Ce n’est que tardivement qu’il parlera de lui comme étant un  « connaissant par Allah ».
Le Dr. ‘Abd-al-Halîm Mahmûd a donc rassemblé dans son nouvel ouvrage les cinq articles publiés par René Guénon pour la revue al Ma’rifah. René Guénon n’aura ainsi à notre connaissance publié rien d’autre en arabe. On ne parle pas non plus d’éventuels manuscrits inédits dans cette langue.
Le premier article publié en mai 1931 connaîtra une traduction française revue par René Guénon et publiée dans les Études Traditionnelles en mars 1951 sous le titre Connais-toi toi-même.
Le second article (juin 1931) connaîtra de même une traduction française revue par René Guénon et publiée dans les Études Traditionnelles en décembre 1950 sous le titre Influence de la civilisation islamique en Occident.
Les articles de juillet et septembre 1931 ont donc fait l’objet d’une traduction par M. Gouraud sous les titres respectifs :  Le néo-spiritualisme et son erreur et  Le néo-spiritualisme (réponse à une critique).
Le dernier article publié en novembre 1931 connaîtra également une traduction française revue par René Guénon et publiée à titre posthume dans les Études Traditionnelles en mars-avril 1962 sous le titre Les influences errantes.

On doit comprendre que le lectorat potentiel de la revue al Ma’rifah est en définitive fortement occidentalisé. Le simple fait que René Guénon ait pu traduire ses propres textes écrits en arabe pour les republier en Occident montre bien que le public visé est de la même « nature ». Les deux articles non retraduits par lui-même le montrent encore plus puisqu’ils mettent en garde contre une erreur purement occidentale : celle du spiritisme. S’il s’était adressé à un véritable milieu d’initiés musulmans, initiés effectifs, le niveau des textes aurait été  tout autre et la nécessité de les retranscrire en français inutile et même contradictoire sauf à vouloir faire de l’orientalisme comme le font les « guénoniens musulmans » membres de ces turuq en Occident. René Guénon lui n’était pas un orientaliste. L’arabe est la langue sacrée des authentiques initiés musulmans et non le français qui ne peut nullement convenir.
Ainsi René Guénon doit rappeler notamment à des orientaux trop occidentalisés le rôle très positif de la civilisation islamique pour la transmission de la connaissance et il doit surtout les mettre en garde. L’article le plus instructif dans ce sens concerne cette réponse au professeur Farîd Bek Wajdî.
M. Gouraud nous indique (p. 100) que ce professeur était un enseignant de l’Université islamique d’Al-Azhar et qu’il fut également l’un des professeurs du Dr. ‘Abd-al-Halîm Mahmûd.
René Guénon débute son article ainsi (traduction J. Gouraud, p. 100):
« Si le professeur Farîd Bek Wajdî avait lu ce que nous avons écrit, il y a dix ans de cela, au sujet du spiritisme »
René Guénon considère donc comme une évidence que ce professeur d’Al-Azhar se devait de connaître son œuvre en FRANÇAIS et notamment cet ouvrage plutôt confidentiel (qui ne connaîtra pas de réédition de son vivant)  sur l’erreur spirite publié en 1923.
Et puis il doit rappeler à ce professeur que si ce dernier est occidentalisé à outrance, lui est un véritable oriental. Il écrit ainsi (traduction p. 107) :
« Nous ne vivons pas, comme le pense le professeur Farîd Bek Wajdî, dans un temps autre que le nôtre »
M. Raouf G. traduisait lui, à notre sens de façon plus adaptée : « à une époque autre que la nôtre ».
On voit ainsi que déjà en 1931, Le Caire et son Université d’Al-Azhar était bien plus proche de l’Occident que du véritable Orient. L’Islam était déjà bien engagé dans cet épuisement caractéristique de la fin de notre cycle d’humanité comme toutes les autres traditions. L’hindouisme paraît bien être la seule tradition vivante dont la dégénérescence soit un peu plus lente mais malgré tout inexorable.

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