RÂMANA
MAHARSHI, L’Esprit du Silence
Shiva
Natarâja
Râmana Maharshi est né le jour où l’on honore Shiva
sous son aspect de Natarâja. Ce terme désigne aussi bien le Seigneur de la
Danse, le Maître des danseurs comme le Roi des acteurs (la racine RâJ signifiant « régner, gouverner,
briller » et la racine NAT
« danser, mimer, jouer un rôle »). Râmana est ainsi né durant la fête
d’Arudra-darshana, en décembre 1879. Cette fête qui a généralement lieu lorsque
la constellation d’Orion (arudra) se
trouve en ascendance est celle de la « vision de Shiva » car l’on
organise une procession de la représentation de Shiva sous son aspect de
Natarâja pour que l’on puisse le contempler (darshana). Ce jour commémore la victoire de Shiva sur l’Asura
Andhaka (le « Sombre », andha
veut dire aveugle), c’est-à-dire la victoire de la « Lumière » sur
« l’Obscurité » et donc de la Connaissance sur l’ignorance. Puis
Shiva accomplit sa Danse cosmique. Cette Danse répond au cinq actions (pancha-krityâ) de Shiva: srishti, l’action de créer; sthiti, l’action de maintenir; samhâra, l’action de détruire, tirobhâva, l’action de faire disparaître
et anugraha, l’action de libérer. Ces
cinq fonctions sont en relation avec les cinq aspects divins respectivement:
Brahmâ, Vishnu, Rudra, Maheshvara (mahâ-îshvara)
et Sadâshiva (sadâ, éternel).
Rappelons que ces cinq aspects divins sont en correspondance avec les cinq
premiers chakras, respectivement mûlâdhâra, svâdhishthâna, manipûra, anâhata, vishuddha. Au chakra âjna
correspond l’aspect Shambu et au « lotus à mille pétales », sahasrâra, l’aspect ultime Paramashiva.
Voyons comment on peut comprendre cette Danse en
étudiant le symbolisme de sa représentation. En dansant, Shiva écrase sous son
pied droit le nain Mûlayaka, symbole de la vaine opposition à la puissance de
Shiva. Le pied gauche est levé en signe de libération. Le mouvement des pieds
décrit la fonction suprême de Shiva celle de la transformation véritable,
c’est-à-dire celle qui ne se limite pas à la forme mais nous fait aller au-delà
même de la forme. Pour être libre, l’être doit se transformer.
Voyons maintenant ce que les mains nous enseignent. La
main droite supérieure tient un damarû (petit tambour à deux caisses de résonance),
la main droite inférieure fait le geste (mudrâ)
de « ne point craindre ». La main gauche supérieure tient une flamme,
la main gauche inférieure est baissée en direction du nain Mûlayaka. Le damarû est, dans le rythme qu’il
instaure (chaque caisse de résonance étant frappée tour à tour), le symbole de
l’alternance de la création et de la destruction de la manifestation, résumant
ainsi les cinq actions de Shiva. La crainte n’affecte que ce qui est
conditionné, comme l’ego. Mais, Shiva peut nous libérer de la peur (signe de
l’attachement à l’ego) puisqu’il nous éclaire avec la flamme de la connaissance
qui dissipe toutes les menaces représentées par le nain Mûlayaka qui ne peut
qu’être vaincu comme il nous l’indique.
Parmi les différents aspects de sa parure, nous
signalerons que Shiva porte un pendant d’homme à l’oreille droite et un pendant
de femme à l’oreille gauche, marquant ainsi son union avec la Shakti. Il danse sur un piédestal de
lotus d’où jaillit une auréole frangée de flammes qui l’encercle. Dans sa
dimension purement cosmique et selon le principe d’analogie, on peut voir cette
auréole enveloppante comme le symbole de Prakriti.
Shiva, représentant alors Purusha,
danse ainsi en son sein pour faire passer l’univers potentiel de la puissance à
l’acte.
Shiva Natarâja, dont la vision (darshana) libère de la transmigration (samsâra), préside ainsi à la naissance du Maharshi démontrant ainsi
que cette dernière se révélera effectivement comme illusoire.
Cette « présence » de Shiva ne fait
qu’annoncer la fonction de « présence » du Maharshi. Mais voyons ce
que Râmana nous enseigne sur le lieu de sa naissance Tiruchuzi:
« Ce lieu a reçu plusieurs noms différents [dont
celui d’Avarta-puri, puri signifiant
la ville] (...) Il y a eu plusieurs déluges. le Dieu Shiva sauva cette ville de
trois d’entre eux. Une fois, alors que toute la surface de la terre était
immergée sous les eaux, Shiva planta sa lance en cet endroit. Les eaux qui
auraient dû normalement envahir la contrée furent attirées dans le trou formé
par celle-ci; Un immense tourbillon se forma. Voilà l’origine du nom [d’avarta qui signifie tourbillon]. A
l’occasion d’un autre déluge, Shiva, pour sauver la ville, la maintint
suspendue au bout de sa lance ». [Talks
with Sri Ramana Maharshi, p. 613.]
Cette « présence » de Shiva au lieu même de sa naissance place le
Maharshi au Centre du Monde dont l’axe est symbolisé par la lance de Shiva.
On peut comprendre ainsi que bien que l’individualité
de Râmana ait connu, « substantiellement », un certain devenir
spatial, le Maharshi , « essentiellement », n’a cessé d’être immobile
au Centre du Monde. Du lieu de sa naissance à la colline d’Arunâchala où il
séjournera tout le restant de sa vie, il n’a cessé d’être établi en ce Pôle
spirituel , moteur immobile de la manifestation.
La colline d’Arunâchala est l’un des plus anciens et
des plus sacrés parmi tous les lieux saints de l’Inde, c’est un éminent symbole
du Mont Mêru. Râmana Maharshi déclara qu’: « Arunâchala n’est pas
extérieur, mais intérieur. Arunâchala, c’est le Soi ». [Talks, p. 228.]
Jîvan-mukta
Si le devenir spatial du Maharshi est relatif, son
devenir temporel l’est tout autant. Si l’on peut dire que Râmana n’a cessé
d’être établi au Centre du Monde, on peut également dire qu’il n’a cessé d’être
libre. Etant en elle-même totalement inconditionnée, la Délivrance ne saurait
être le fruit d’un quelconque devenir. On s’accorde à voir en Râmana Maharshi
un Délivré-vivant (jîvan-mukta).
Qu’est-ce alors qu’un Jîvan-mukta ?
La Réalisation, étant inconditionnée, peut être connue
dans l’un quelconque des états de l’être. Ainsi, un être placé dans l’état
humain, comme nous le sommes actuellement, peut être, s’il en a la
qualification, effectivement délivré dans cet état même. On use alors
symboliquement d’une des conditions de cet état, la vie (jîva, le vivant), pour désigner cette Délivrance: jîvan-mukta. Cette expression ne veut donc pas dire que cette délivrance
est tributaire de l’aspect vital. Ce qualificatif est nécessaire à ceux qui ne
peuvent, sans cela, désigner cet état inconditionné. On est aussi fautif de
parler alors de « vivant » ou « d’état »,la Délivrance
échappant nécessairement à tous les qualificatifs puisqu’elle les transcende.
La Délivrance ne dépendant d’aucune condition, on peut
être tout naturellement amené à se poser cette question: Pourquoi ne sommes-nous
pas tous des Jîvan-mukta ? En réalité
nous le sommes tous virtuellement. Ainsi le Maharshi a déclaré, en parlant du jnânî, de celui qui a réalisé
l’identification entre le connaissant et le connu par la connaissance
elle-même:
« Le jnânî
ne voit personne qui soit a-jnânî. De
son point de vue, chacun est un jnânî.
Dans l’état d’ignorance, on surimpose cette ignorance à ce qui est réellement
l’état de jnânî ». [Talks, p. 480]
C’est donc une limitation, cet état d’ignorance, qui
empêche de se connaître dans notre état de jnânî.
Virtuellement des jnânî, nous nous
identifions à des a-jnânî, signe même
de cette virtualité. La Délivrance est ainsi indéfiniment proche comme on peut
égrener les décimales du nombre Pi ,
mais elle ne saurait être le terme de quoique ce soit comme il ne suffit pas
d’atteindre une nouvelle décimale pour connaître effectivement le nombre Pi. La Délivrance est toujours présente
mais en même temps inaccessible si l’on ne peut opérer le « passage à la
limite », comme le nombre Pi,
toujours connu puisqu’il est la rapport de la circonférence au diamètre, se
révèle dans l’intégration aboutie et qu’il se dérobe dans l’accumulation de ses
décimales. Ce « passage à la limite » est la clé de la Réalisation,
clé mystérieuse qui n’ouvre en réalité aucune porte puisque rien ne nous est
inaccessible. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le récit de ce
« passage à la limite » tel qu’il a été vécu par le Maharshi. Ce
récit est à la fois limpide et inexplicable. Tous le monde pourrait le vivre, mais
il symbolise pour lui seul la Délivrance:
« C’est environ six semaines avant mon départ
définitif de Maduraï qu’intervint dans ma vie un grand changement. Il fut tout
à fait soudain. J’étais seul dans une pièce au premier étage dans la maison de
mon oncle. Je n’avais été que rarement malade, et ce jour-là ma santé était
excellente; mais une soudaine et violente peur de la mort m’étreignit. Rien
dans mon état ne la justifiait, et je n’essayai ni de la justifier ni d’en
chercher la raison. Je me contentais de l’éprouver en me disant: « Je vais
mourir », et je me demandai que faire. Il ne me vint pas à l’idée de
consulter un médecin ou un proches ou mes amis; je sentis qu’il me fallait
résoudre le problème moi-même, et à l’instant même.
« Le choc causé par la peur me poussa à
l’intériorisation et je me dis mentalement à moi-même, sans formuler des
paroles: « Maintenant que la mort est là, que signifie-t-elle ? Qu’est-ce
que mourir ? C’est ce corps-là qui meurt ».Et aussitôt je dramatisais le
fait de la mort. J’étais couché les membres allongés et raides comme dans
l’état cadavérique, mimant les effets de la mort pour donner à mon enquête une
réalité plus grande. Je retenais ma respiration, et serrais les lèvres pour
qu’aucun son ne pût s’en échapper, m’empêchant de prononcer le mot
« Je » ou tout autre mot. « Et bien ! », me disais-je, ce
corps est mort. On l’emportera complètement rigide au lieu de crémation où il
sera brûlé et réduit en cendres. Mais suis- « Je » ce corps ? Il est
silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité et
j’entends même la voix du « Je » profondément en moi. Je suis donc
l’Esprit qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l’Esprit, transcendant
ce corps, ne peut être touché par la mort. Ce qui veut dire que Je suis
l’Esprit immortel.
« Ces pensées n’étaient pas tristes et sombres.
Elles jaillissaient en moi telle l’éclatante vérité que je percevais
directement, pratiquement sans l’intervention du processus mental. Le
« Je » était donc quelque chose de très réel, la seule chose réelle
dans mon état présent, et toute l’activité consciente liée à mon corps était
centrée sur ce « je ». Depuis cet instant et dorénavant le
« Je » ou « Soi » concentra l’attention sur lui-même par
l’effet d’une puissante fascination. La crainte de la mort s’était évanouie, et
pour toujours. L’absorption dans le « Soi » se poursuivit sans
interruption depuis cet instant. Les autres pensées pouvaient passer et
disparaître comme diverses notes de musique, mais le « Je » demeurait
comme la note fondamentale shruti sous-tend
et se confond avec les autres notes. Que mon corps fut occupé à parler, à rire,
ou à quoique ce soit d’autre, tout mon être n’en était pas moins centré sur le
« Je ». Avant cette crise je n’avais aucune perception claire de mon
« Soi », et je n’étais pas consciemment attiré vers lui. Je ne
ressentais pour lui aucun intérêt direct ou perceptible, encore moins
inclinais-je à demeurer constamment en lui ».
Arunâchala
Râmana Maharshi nous donne le sens du mot arunâchala [Talks, p. 180]:
« aruna
= rouge, brillant comme le feu. Ce « feu » n’est pas le feu
ordinaire, qui n’est que chaud. C’est jnânâgni
(le « feu » de la Sagesse, [le feu, agni, de la Connaissance, jnâna])
qui n’est ni chaud ni froid. achala =
colline. Arunâchala est donc la « colline de la Sagesse ».
Voyons maintenant comment l’origine de la colline nous
est relatée:
« Une fois Vishnu et Brahmâ (aspect créateur de
Dieu, îshvara) se disputèrent pour
savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Leur querelle provoqua le chaos
sur la terre, et les Devas,
s’approchant de Shiva, le supplièrent de mettre un terme à cette querelle.
Alors Shiva se manifesta sous la forme d’une colonne de feu, d’où s’éleva une
voix disant que le plus grand serait celui qui découvrirait l’extrémité la plus
haute ou la plus basse de la colonne de lumière. Vishnu prit la forme d’un
sanglier et creusa profondément le sol, pour en trouver la base, tandis que
Brahmâ prenait la forme d’un cygne et planait dans les airs, en quête du
sommet. Vishnu échoua dans sa recherche de la base de la colonne, mais,
commençant à discerner en lui-même la Lumière suprême qui réside dans le cœur
de tous, il se perdit dans la méditation, oubliant son enveloppe charnelle et
n’ayant même plus conscience de lui-même en tant que celui qui cherche. Brahmâ
vit la fleur d’un arbre de montagne qui tombait à travers les airs et, pensant
gagner par la tromperie, il revint avec cette fleur et prétendit qu’il l’avait
cueillie au faîte de la colonne lumineuse. »
Vishnu et Brahmâ ont donc échoué. Mais l’histoire se
poursuit: « la colonne de feu, ou le linga,
était trop aveuglante, et Shiva se manifesta alors sous l’aspect de la
colline »
La colline est ainsi le symbole du Centre du Monde
comme de l’axe qui en émane formant la chaîne des mondes. La colline est ainsi
le symbole du but à atteindre comme de la voie pour y parvenir. Parcourir cet
axe depuis le point le plus bas (Vishnu) jusqu’au point le plus élevé (Brahmâ),
c’est, en s’y identifiant (Shiva) atteindre Mahâ-îshvara
et finalement le but suprême, le Soi, Para-Brahma.
Au plan microcosmique, cette colline symbolise
l’enchaînement de tous les états de l’être. En faire l’ascension, c’est au plan
symbolique atteindre à sa propre totalisation, c’est-à-dire à la réalisation de
« l’Homme universel ».
En correspondance avec le symbolisme de la croix, on
peut dire que s’approcher (axe horizontal) de la colline symbolique, c’est
tendre vers l’individualité intégrale. L’atteindre, c’est effectuer la
totalisation de l’état humain (centre). En faire l’ascension (axe vertical),
c’est opérer la totalisation des états supra-individuels et par le
« passage à la limite », c’est réaliser l’identité avec le Soi,
l’identité en Brahma.
Râmana Maharshi a très tôt dans sa vie ressenti une
véritable fascination pour ce lieu saint comme il nous l’explique dans l’une
des strophes de l’un de ses hymnes à Arunâchala:
« Ecoute ! Il se tient Mont impassible. Son
action est mystérieuse, elle dépasse l’entendement humain. Depuis l’âge de
l’innocence avait brillé dans mon esprit l’idée qu’Arunâchala était quelque
chose d’une grandeur insurpassable, mais même lorsque j’appris par un autre que
c’était la même chose que Tiruvannamalai [la localité au pied de la colline],
je ne me rendis pas compte de sa signification. Lorsqu’il m’attira à lui,
apaisant mon âme, je m’en approchai et je le vis (se dresser) immuable ».
Râmana Maharshi a ainsi composé cinq hymnes en hommage à Arunâchala. Un
seul a été directement composé en sanscrit, les autres l’ont été en tamoul. Nous
avons retenu cet hymne pour cette raison, Il est intitulé arunâchala-pancharatnam, « Cinq stances dédiés à
Arunâchala », littéralement « Cinq (pancha) perles (ratna)
pour Arunâchala ». Nous en donnons la première traduction française
directement faite à partir du texte sanscrit.
Cet hymne se présente sous une forme bien caractéristique. Le Maharshi
est symboliquement placé en haut de la colline qui marque ainsi son état de jivan-mukta, de « Délivré
vivant », de jnânî, « Celui qui est effectivement
identifié dans le Principe Suprême », le nirguna Brahma, Brahma non qualifié. En toute légitimité, le
Maharshi peut ainsi considérer de proche en proche et par voie descendante ce
qui du Principe nous amène au domaine individuel. Il se place ainsi au point le
plus élevé, puis il envisage les voies de réalisation de la plus abrupte à
celle qui concerne tous les êtres. Il traite ainsi de la voie de la
connaissance (jnâna-mârga), de la
voie du yoga (yoga-mârga), puis de
celle de la dévotion (bhakti-mârga) et enfin de la voie des actes (karma-mârga). Au terme de cet hymne, le
lecteur a virtuellement conçu les différentes étapes de la Réalisation (moksha). Il est en adoration au pied de
la colline. Il ne lui reste plus, pour peu qu’il en soit capable, qu’à
entreprendre effectivement l‘ascension qui des actes (karma) et de la simple dévotion (bhakti) le mènera à l’union (yoga)
pour atteindre à l’identification par la connaissance (jnâna) terme de la réalisation, au-delà même de ce point qui marque
le sommet et symbolise ainsi le Principe Suprême.
Voici la traduction de cet hymne:
1- « ô
océan (abdhi) de nectar (sudhâ) débordant d’une suprême (pûrna) compassion (karunâ), tu submerge (KAD/kab)
la forme (rûpa) dense (ghana) de l’Univers (vishva) par l’enveloppement (âvali) de ton rayonnement (kirana); ô Arunâchala, toi qui es le Soi
(âtmâ) suprême (parama), fais de toi le Soleil (aruna)
qui épanouira (KAS) le lotus (kanja) du Coeur (chitta) ».
Râmana Maharshi rend compte
dans cette strophe d’Arunâchala comme symbole de l’identification totale dans
le Principe Suprême. Arunâchala est le Principe Suprême, le paramâtmâ. Représentant la Cause
enveloppante de la Manifestation, du Monde, Arunâchala devient donc le Soleil,
symbole de l’Etre, la détermination du Non-Etre, le Principe non qualifié (nirguna Brahma) se déterminant en
Principe qualifié (saguna Brahma),
Dieu (îshvara) qui ordonne le Monde.
En lui s’épanouit alors le lotus du Coeur. On notera l’usage du terme chitta pour désigner ici le Coeur.
2- « ô
Arunâchala, en toi toute chose (sarva)
apparaît (bhûtvâ), se maintient (sthitvâ) puis se résorbe (pralîna); c’est une merveille (chitra) ! Tu es le Soi en lui-même (âtmatâ), le « Je » (aham) qui est dans le Coeur (hrid); ô cela, tu le danses (NRiT). On dit (VAD) de toi que ton nom (nâma)
est le Coeur (hridaya) ».
Râmana s’appuie sur les trois
racines BHû, STHâ, pra-Lî pour
signifier l’écoulement de la manifestation: ex-istence (bhava), établissement (stha)
et dissolution (pra-laya). On trouve
ici une allusion nette aux « actions » de Shiva et notamment de Shiva
Natarâja, le Seigneur de la Danse. Cette strophe est le symbole de la
détermination de l’Etre, îshvara, en
Shiva, celui qui fait battre le Coeur cosmique.
3-
« Qui désire (anu-ISH) répondre
a cette question: « D’où s’élève (â-Yâ)
ce que l’on nomme « Je » (aham
iti) ? », doit s’intérioriser (pra-VISH)
avec une pensée (dhî) extrêmement
pure (amala); alors il connaîtra (ava-GAM) sa propre (sva) forme (rûpa) et
s’apaisera (SHAM) en toi, ô Arunâchala,
comme la rivière (nadî) qui rejoint
l’océan (abdhi) ».
La voie suprême, la voie de jnâna est bien l’objet de cette strophe.
La connaissance, la compréhension véritable, la « pensée pure », nous
donne la réponse à la question « Qui suis-Je ? (ko’ham) ». La tradition nous enseigne que cette réponse peut
être ainsi formulée: « neti neti ».
Râmana Maharshi a donné l’explication de ce mot:
« Actuellement, il y a
en vous une fausse identification du Soi avec le corps, les sens, etc. Puis
vous vous mettez à rejeter toutes ces distinctions. C’est cela neti [na-iti]. Vous ne pouvez procéder ainsi à cette élimination qu’en
vous attachant à ce qui ne peut être écarté, c’est-à-dire iti seul ». [Talks,
p. 335.]
Le mot sanscrit na est le signe de la négation (asmi = je suis, na-asmi = je ne suis pas). Si je veux rendre compte par écrit que
je suis en train de dire: « je suis », je ferai usage en sanscrit du
mot iti. Ainsi lorsque l’on lit
l’expression asmi iti, on doit
comprendre que l’auteur veut nous signifier qu’il est entrain d’affirmer:
« je suis ». La formule neti
signifie donc que l’on est entrain de dire « non ! » Ainsi le
commentaire de Râmana nous permet de comprendre que ce qui importe le plus
n’est pas ce sur quoi porte la négation. Ce qui importe le plus, c’est ce qui
en résulte et qui est symbolisé par le mot iti.
Ce terme, qui ne peut être nier puisqu’il ne signifie rien, qui n’a pas de
détermination, est ainsi la marque présente du « passage à la
limite » toujours possible. Voilà ce que cette formulation est censée nous
apporter. L’image de la rivière rejoignant l’océan répond à cet extrait de la
strophe 41 de l’âtma-bodha de Shankarâchârya:
« Il n’y a plus de
distinction (bheda) entre le
Connaissant (jnâtri), la Connaissance
(jnâna) et le Connu (jneya) dans le suprême Soi (parâtmâ) ».
4-
« Abandonnant (tyaktvâ) tout ce
qui est du domaine (vishaya)
extérieur (bâhya), le mental (manas) contrôlé (ruddha) par la régulation (ruddha) du souffle (prâna), méditant (DHYâ)
intérieurement (antar) en toi; le
Yogî perçoit (PASH) ta splendeur (dîdhiti), ô Arunachala, et trouve en toi
sa demeure (mahî) ».
Les principaux aspects
techniques de la voie du yoga sont
énoncées dans cette strophe: la concentration, le contrôle du mental par la
régulation du souffle, la méditation. L’aboutissement ultime étant la
réalisation de l’état de Yogî. On peut ici citer certains propos de Râmana
Maharshi concernant cette voie:
« Le contrôle de la
respiration a pour seul but d’aider à s’immerger profondément en Soi. On peut
tout aussi bien le faire par le contrôle mental. Car, lorsque le mental est
dompté, la respiration, elle aussi, se régularise automatiquement. Par
conséquent, il n’est pas nécessaire d’essayer le contrôle respiratoire, il
suffit de contrôler son mental. Le contrôle de la respiration est recommandé à
ceux qui ne peuvent contrôler leur mental immédiatement » [Talks, p. 417.]
« La correspondance
entre jnâna et prânâyâma (contrôle respiratoire) s’établit ainsi:
na-aham: Je
ne suis pas cela (expiration),
koham: Qui
suis-je ? (inspiration),
soham: Je
suis Lui (rétention).
Ceci relève du vichâra et le vichâra permet d’obtenir le résultat recherché ».[Talks, p.133.]
« Les trois formules
sont: na-aham [pas-Je]; koham (kah-aham) [Qui-Je]; soham
(sah-aham) [Il-Je]. Rejeter tous les
préfixes (na, kah, sah) et
maintenez-vous dans le commun dénominateur, c’est aham, c’est le « Je », voilà l’essentiel ».[Talks, p. 418.]
5-
« Celui qui se fixe (arpita) en
toi par son mental (manas), qui voit
(PASH) tout (sarva) continuellement (satatam)
par toi comme ta propre forme (âkriti),
qui n’adore (BHAJ) que toi avec joie
(prîtyâ); celui-là règne (JI), ô Arunâchala, car il est immergé (magna) par toi dans la félicité (sukha) ».
Cette strophe concerne la
voie de la dévotion (bhakti-mârga) et
celle des actes (karma-mârga). La
racine BHAJ dont dérive le terme bhakti (dévotion) a pour sens premier
celui de « partager ». Le bhakta,
l’adorateur, participe ainsi fondamentalement de l’harmonie universelle. Celui
qui accomplit une action (karma) agit
(KRi), même s’il n’en n’a pas
conscience, au sein de cette harmonie. En ce sens, il y règne.
En dépassant l’aspect
purement spatial de ce lieu saint, on doit comprendre que tendre vers
Arunâchala, c’est tendre vers le Soi; s’y établir, c’est s’identifier au Soi et
finalement glorifier Arunâchala comme le fit Le Maharshi dans ses hymnes, c’est
glorifier le Soi.
Dakshinâmûrti
Si Arunâchala , le linga
de Shiva, est le symbole paradoxale du non-espace, Dakshinâmûrti, Shiva en tant
que point-origine, symbolise alors le non-temps. Etabli à Arunâchala, le
Maharshi confirme son détachement complet vis-à-vis de cette condition que l’on
nomme espace. Identifié à Dakshinâmûrti, il confirme de même son détachement
complet vis-à-vis de la condition que l’on nomme temps. Car la Vérité est ni
tributaire du temps ni du lieu, sa source est le Non-Etre qui est absolument
inconditionné.
Le terme dakshinâmûrti signifie, si on le décompose en
dakshinâ-mûrti, l’aspect (mûrti) qui fait face au Sud (dakshinâ). Celui qui fait face au Sud
doit, pour remplir pleinement cette exigence, être placé au Nord sur l’axe des
pôles, car c’est de ce point unique que l’on fait toujours face au Sud.
Dakshinâmûrti est donc Shiva en tant que Pôle, ce point originel moteur
immobile du manifesté. C’est d’ailleurs le sens de ce terme si on le décompose
en dakshina-amûrti, il est le
principe (dakshina) informel (a-mûrti, non-forme). Il est celui qui
produit le manifesté sans être lui-même manifesté, celui qui engendre le
mouvement et donc le temps sans être lui-même soumis au temps. En ce sens, on
le représente sous les traits d’un jeune adolescent, montrant ainsi qu’il n’est
pas soumis à cette condition temporelle. Cette dimension primordiale est encore
soulignée d’une façon particulièrement nette par le mode de son enseignement le
« silence », le plus éminent symbole du nirguna Brahma, du Non-Etre.
Ce mode d’enseignement était aussi celui du Maharshi.
Voici ce qu’il nous dit:
« Le « silence » est la forme la plus
puissante de travail [spirituel]. Quelle que soit l’étendue et la puissance des
shâstras (des textes), ils échouent
dans leurs efforts. Le guru est
tranquille et la Paix prévaut en tout. Le « silence » du guru est plus puissant, plus vaste que
tous les shâstras réunis (...) Tel
est [l’enseignement du] véritable guru.
Tel était [celui de] Dakshinâmûrti. Que faisait-il ? Il restait silencieux. Les
disciples apparaissaient devant lui. Il gardait le « silence »; les
doutes des disciples finissaient par se volatiliser, autrement dit, ils
perdaient le sens de leur individualité ». [Talks, p. 370.]
« De même que le bananier est un arbre dont les
racines produisent de nouvelles pousses, des rejets, avant qu’il ne donne ses
fruits et meure, et que ces mêmes rejets, une fois transplantés, recommencent
le même cycle, ainsi le Maître originel et primordial de toute antiquité,
Dakshinâmûrti, celui qui a dissipé les doutes de ses disciples rishis par le « silence », a
laissé après lui des rejets qui continuent à se multiplier. Le guru est un rejet de ce Dakshinâmûrti ».[Talks, p. 13.]
Ces propos sont d’autant plus significatif qu’à
l’occasion de sa traduction de l’Hymne à
Dakshinâmûrti composé par
Shankarâchârya, Râmana Maharshi l’a fait précéder de cette invocation:
« Ce Shankara qui apparut en tant que
Dakshinâmûrti pour apporter la paix aux grands Ascètes (Sanaka, Sanandana,
Sanatkumâra, Sanatsujâta), qui révéla son état réel de Silence, et qui a
exprimé la nature du Soi en cet hymne, est établi en moi ».
Cette invocation synthétise le temps et le transcende
depuis l’origine en Dakshinâmûrti jusqu’à Râmana Maharshi par la médiation de
Shankara.
Râmana a accordé une place prépondérante à l’oeuvre de
Shankara. Il a ainsi traduit en tamoul le Viveka-chûdâ-mani
ainsi que plusieurs hymnes comme l’Hymne
à Dakshinâmûrti. On peut citer
ici le commentaire de cet hymne donné par le Maharshi dans un entretien. Râmana
nous rapporte la légende de Dakshinâmûrti:
« Brahmâ, le Créateur, enfanta de son esprit
quatre fils, Sanaka, Sanandana, Sanatkumâra et Sanatsujâta. Ils demandèrent à
leur créateur pourquoi ils avaient été mis au monde. Brahmâ leur répondit:
« Je dois créer l’Univers, mais je souhaiterais plutôt me livrer à des
austérités (tapas) afin de réaliser
le Soi. Je vous ai donné l’existence pour que vous puissiez me relayer dans
cette tâche créatrice de l’Univers. Vous y parviendrez en croissant et en
multipliant. » Les quatre fils n’agréèrent pas cette idée. Ils ne
comprenaient pas pourquoi ils devaient assumer une charge aussi écrasante. Or
il est naturel pour tout un chacun de se mettre à la recherche de la source
originelle. Aussi préférèrent-ils revenir à leur origine et être heureux. Ils
désobéirent à Brahmâ et l’abandonnèrent à son sort. Ils se mirent en quête d’un
guide pour réaliser le Soi. Ils étaient les mieux doués pour obtenir la
réalisation. Ils estimèrent que leur direction spirituelle ne pouvait dès lors
être confiée qu’au meilleur de tous les maîtres. Qui, si ce n’est Shiva, le yogirâja, [le Seigneur (râja) des yogîs] pouvait répondre à cette exigence ? Shiva [sous son aspect
de dakshinâmûrti] leur apparut, assis
au pied du banyan sacré. Etant un yogirâja
pouvait-il faire autre chose que pratiquer le yoga ? Il était ainsi dans un profond samâdhi, dans « l’Immobilité » absolue. Le Silence
régnait. Quand les quatre frères le virent ainsi, l’effet fut immédiat. Ils
tombèrent en samâdhi et tous leurs
doutes furent dissipés ». [Talks,
p. 528.]
Poursuivant son commentaire Râmana nous explique
pourquoi Shankara a composé cet hymne:
« Le silence est le véritable et parfait upadesha (instruction spirituelle). Il
ne convient qu’aux seuls chercheurs très avancés. Les autres sont incapables
d’en tirer une puissante inspiration. C’est pourquoi ils ont besoin de mots qui
leur expliquent la Vérité. Mais Celle-ci est au-delà des mots. Elle ne se
contente d’aucune explication. Tout ce que l’on peut faire, c’est d’en indiquer
la direction. Comment faut-il s’y prendre ? Les gens sont sous l’emprise d’une
illusion. Si ce maléfice est détruit, ils réaliseront la Vérité. Il faut donc
les convaincre de l’erreur de cette illusion. C’est alors qu’ils essayeront
d’échapper à ses pièges. Et le vairâgya
(le renoncement) en résultera. Ils se mettront en quête de la Vérité, à la
recherche du Soi. Ils finiront par le réaliser, pour demeurer dans le Soi. Shrî
Shankara, qui était un avatâra de
Shiva, était plein de compassion pour les êtres déchus. Son désir était que
tous puissent réaliser leur Soi bienheureux. Comme il ne pouvait pas les
toucher tous par son « silence », il composa son éloge (stotra) à la gloire de Dakshinâmûrti
sous la forme d’un hymne afin que les gens puissent le lire et entendre la
Vérité (...) Les quatre premières stances ont trait au monde. Elles
montrent que le monde est identique au Maître dont le Soi est aussi celui du
chercheur spirituel [voie de jnâna],
ou bien que le monde est le Maître auquel le disciple se soumet complètement
[voie de bhakti]. Les quatre stances
suivantes ont trait à l’individu en montrant que son Soi est le Soi du Maître .
La neuvième stance concerne îshvara
et la dixième la Réalisation (siddhi).
Tel est en bref le thème de l’hymne». [Talks,
p. 529.]
Voici cet hymne traduit à partir de l’original
sanscrit composé par Shankara:
Introduction-« Celui qui enseigne (vyâkhyâ) par le Silence (mauna)
la vérité (tattva) réalisée (prakatita) du Suprême (para) Brahma, qui est un adolescent
(yuvân), qui est le prince (indra)
des précepteurs (âchârya), entouré (âvrita) d’un groupe de disciples (gana), de très vieux (varshishtha) sages (rishi) absorbés (nishtha)
fermement en Brahma, celui dont l’attitude de la main signifie l’Illumination (chit-mudra), celui qui est la
représentation (mûrti) de la
béatitude (ânanda), qui se complaît (ârâma) dans le Soi (sva-âtmâ), qui a un doux (mudita)
visage (vadana)- C’est [lui],
« l’Aspect [de Shiva] qui fait face au Sud » (dakshinâ-mûrti), que nous
adorons ».
Le terme mauna
que l’on traduit par « silence » désigne littéralement « l’état
de Muni ». Le Muni est celui qui a atteint le plus
haut état spirituel. Identifié dans le Non-Etre, il est le symbole même du
non-manifesté dont le silence est le suprême emblème. Mauna est ainsi le symbole du nirguna
Brahma , comme il est le signe de « l’action de présence » de Râmana.
Voici d’ailleurs certains de ses propos touchant cette question:
« Mauna
(le Silence) n’est pas autre chose que la « parole » incessante,
comme le Non-agir est « l’acte » incessant ». [Talks, p. 67.]
« Qu’est-ce que le Silence sinon l’éternelle éloquence ».
[Talks, p. 141.]
« Mauna
(le Silence) est la dîkshâ [la
transmission d’une influence spirituelle] la meilleure et la plus puissante.
C’était celle que donnait Dakshinâmûrti. Celles par le regard, par le toucher,
etc. lui sont toutes inférieures. Le Silence (mauna-dîkshâ) change le coeur de tout homme ». [Talks, p. 402.]
1- « A lui qui, par Mâyâ, comme en rêve (nidrâ,
sommeil), voit (pashya) en son for
intérieur (ni-ja-antar-gata)
l’univers (vishva) qui est en lui (âtmâ), comme une cité (nagarî) apparaissant (DRiSH) dans un miroir (darpana), [mais] qui est manifesté (ud-BHû) comme extérieur (bahih): à lui qui perçoit (sâkshât-KRI), à l’instant (samaya) de l’éveil (prabodha), son propre (sva)
Soi (âtmâ) comme non-duel (a-dvaya): à lui qui est la forme (mûrti) même du Guru, le bienheureux
Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
« Qui est victime de l’illusion ? Il faut bien
que quelqu’un soit abusé. L’illusion, c’est l’ignorance. Selon vous, c’est le
Soi ignorant qui voit les objets. Quand les objets eux-mêmes ne sont pas
présents, comment Mâyâ peut-elle
exister ? Mâyâ est yâ mâ (Mâyâ est ce qui [yâ]
n’est pas [mâ]). Ce qui reste est le
Soi véritable. Si vous dites que vous voyez les objets ou que vous ne
connaissez pas l’Unité réelle, vous devez en conclure qu’il y a deux soi: le
connaisseur et l’objet connu. Or, personne n’admet qu’il existe en lui-même
deux soi. L’homme réveillé dit que c’était lui qui était endormi bien qu’alors
inconscient. Il n’y a qu’un Soi. Ce Soi est toujours conscient. Il ne change
pas. Il n’existe rien d’autre que le Soi ». [Talks, p. 126.]
On notera la référence du Maharshi au nirukta, à cette science qui se base
principalement sur la valeur symbolique des éléments dont les mots sont
composés.
2- « A lui qui, comme un magicien (mâyâvî, le fils de Mâyâ) ou même comme un grand (mahâ)
Yogî, déploie (vi-JRiMBH), par son
propre (sva) pouvoir (ichchhayâ), cet univers (jagat) indifférencié (nir-vikalpa) à l’origine (prân) comme le bourgeon (ankura) à l’intérieur (antar) du germe (bîja), mais différencié (chitrî-krita)
ensuite par les diverses (vaichitrya)
conditions (kalanâ) d’espace (desha) et de temps (kâla) posées (kalpita)
par Mâyâ: à lui qui est la forme même
du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
3- « A lui dont la luminosité (sphurana) qui est être (sat) par nature (âtma-ka) éclaire (BHâS)
le monde manifesté (kalpa-artha-ka)
qui est comme le néant (a-sat): à lui
qui enseigne (BUDH), par l’injonction
(vachas) du Veda « tu es
cela » (tat tvam asi), ceux qui
le sollicitent (â-SHRI): à lui par
qui, s’il est réalisé (karana BHû),
il n’y aura plus d’autre (punar)
chute (âvritti, retour) dans l’océan
(ambhonidhi) de l’existence (bhava): à lui qui est la forme même du
Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
L’injonction citée dans cette strophe se rattache au Sâma-Veda et se trouve énoncée dans la Chândogya-upanishad (VI, 8, 7). Elle
fait partie des mahâ-vâkya (les
paroles essentielles). Chaque mahâvâkhya
est rattaché à un Veda. Au Rig-Veda correspond l’injonction
« La connaissance est Brahma » (pra-jnânam
Brahma) énoncée dans l’Aitareya-upanishad
(V, 3). Au Yajur-Veda correspond
l’injonction « Je suis Brahma » (aham
Brahma asmi) énoncée dans la Brihad-âranyaka-upanishad
(I, 4, 10). Et à l’Atharva-Veda
correspond l’injonction « le Soi est Brahma » (ayam âtmâ Brahma) énoncée dans la Mândûkya-upanishad (2).
4- « A lui qui est lumineux (bhâs-vara) comme l’éclat (prabhâ)
d’une grande lampe (mahâ-dîpa)
installée (sthita) au sein (udara, ventre) d’un vase (ghata) percé de nombreux trous (chidra): à lui dont la connaissance (jnâna) s’extériorise (bahih SPAND) par l’oeil (chakshus) et par les autres organes (karana): à lui qui rayonne (BHâ) en tant que « je sais » (JNâ) et l’univers (jagat) entier (samasta)
brille par lui (anu-BHâ): à lui qui
est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage
! »
« C’est parce que vous avez l’habitude de vous
identifier avec votre corps et de confondre votre vision avec vos yeux que vous
dites ne rien voir. Qu’y a-t-il à voir ? Qui doit voir ? Comment voir ? Il n’y
a qu’une seule conscience, manifestée en tant que pensée « Je », qui
s’identifie avec votre corps, se projette à travers les yeux et contemple les
objets. L’individu est limité dans l’état de veille et il s’attend à voir
quelque chose de différent. L’évidence engendrée par ses sens sera pour lui le
sceau de l’autorité. Ainsi, il n’admettra pas que le voyant, le vu et la vision
sont tous des manifestations d’une même Conscience, Celle du
« Je-Je » [aham-aham]
». [Talks, p. 161.]
« Un jnânî
ne trouve rien qui soit séparé ou différent du Soi. Tout est dans le Soi. Il
est faux d’imaginer qu’il y a le monde, qu’il s’y trouve un corps et qu’enfin
vous demeurez dans ce corps. Lorsque la Vérité est réalisée, on découvre que
l’univers et ce qui est au-delà ne sont que dans le Soi. L’aspect des choses
varie selon la perspective. C’est de l’oeil que vient la vision. Et l’oeil doit
être situé quelque part. Si vous voyez avec les yeux sensibles (du domaine
grossier), tout vous apparaîtra comme grossier; si vous regardez avec les yeux
subtils (ceux du mental), tout vous paraîtra subtil. Et si l’oeil devient le
Soi, l’oeil sera infini, puisque le Soi est lui-même infini. Il n’y a rien
d’autre à voir qui soit différent du Soi ». [Talks, p. 103.]
5- « Ceux qui connaissent (VID) le « Je » (aham)
en tant que corps (deha), souffle (prâna), organes de sensation et d’action
(indriya), intellect changeant (chala-buddhi) ou comme [étant] l’absence
(shûnya, vide) sont abusés (BHRAM) comme les femmes (strî) et les enfants (bâla), les aveugles (andha) et les sots (jada, inerte), et ils parlent (vâdî)
beaucoup: à lui qui est le destructeur (sam-hârî) de la grande illusion (mahâ-vyâmoha) produite (kalpita) par le jeu (vilâsa) de la puissance de Mâyâ (mâyâ-shakti): à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux
Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
6- « A l’esprit (pumân), qui dans le sommeil (sushupta)
est pur être (sat-mâtra), les sens (karana) anéantis (upa-sam-HRi), et qui dans le retrait du voilement (samâchchhâdana) de Mâyâ, comme le soleil (divâkara)
et la lune (indu) dans l’éclipse (râhu-grasta), reconnaît (praty-abhi-JNâ) au réveil (prabodha-samaya,
condition d’éveil): « j’ai dormi (SVAP)
jusqu’à maintenant (prâk) »: à
lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet
hommage ! »
7- « A lui qui, par l’attitude de la main
signifiant la réalisation (bhadra-mudra),
manifeste (prakatî KRi) à ses fidèles (bhajan) son propre (sva)
Soi (âtmâ) qui brille (SPHUR) pour toujours (sadâ) intérieurement (antar) en tant que « Je » (aham), constamment (anu-vartamâna), dans tous (sarva)
les états (avasthâ) inconstants (vyâvritti) tels que l’enfance (bâlya), etc., l’état de veille (jâgrat), etc.- à lui qui est la forme
même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
8- « A l’esprit (purusha) qui, abusé (pari-BHRAM) par Mâyâ, voit (PASH), en
rêve (svapna) et à l’état de veille (jâgrat), l’univers (vishva) dans ses distinctions (bheda)
telles que cause (kârana) et effet (kârya), propriété (sambandha) et propriétaire (svâmi),
maître (âchârya) et disciple (shishya), fils (putra) et père (pitri),
etc.: à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui
cet hommage ! »
9- « A lui dont l’octuple (ashtaka) forme (mûrti)
est tout [cet univers] mouvant (chara)
et immuable (a-chara), apparaissant (â-BHâ) en tant que terre (bhû), eau (ambhas), feu (anala), air
(anila), éther (ambara), soleil (ahar-nâtha),
lune (himâmshu) et esprit (pumân): à lui le suprême (para), le tout-pénétrant (vi-bhu), au-delà duquel rien d’autre
n’est à connaître (VID) pour ceux qui
sont en quête (vimrishan): à lui qui
est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage
! »
10- « Puisque, dans cet hymne (stava), l’état du Soi intégral (sarva-âtma-tva)
a été ainsi expliqué (sphutî KRi); en
l’écoutant (shravana), en
réfléchissant (manana) à sa
signification (artha, le but), en le
méditant (dhyâna) et en le récitant (samkîrtana), [alors] s’accompliront (AS) le royaume (îshvaratva) et la suprême splendeur (mahâ-vibhûti) de cet état de Soi intégral (sva-âtma-tva); ainsi sera réalisé (SIDH), à nouveau (punar),
le pouvoir prodigieux (îshvarya),
sans obstacle (a-vyâhata), qui se
présente (pari-NAM) sous huit formes
(ashta-dhâ) ».
« L’ignorance (ajnâna) est de deux sortes: 1- l’oubli du Soi, 2- les entraves à la
connaissance du Soi. Ce qui nous aide a pour but de supprimer les pensées. Ces
pensées ne sont que des re-manifestations, des prédispositions demeurées à
l’état de germes; elles donnent naissance à la diversité d’où proviennent tous
les troubles. Ces aides sont: écouter l’enseignement de la Vérité (shravana), etc. [sous-entendus, manana et nidhidhyâsana] Les effets de shravana
peuvent être immédiats et le disciple réalise alors la Vérité d’un seul coup.
Ceci n’arrive qu’aux disciples déjà très avancés. Autrement, le disciple sent
qu’il est incapable de réaliser la Vérité, même quand il l’a entendue
constamment répéter. A quoi est-ce dû ? Les impuretés, qui polluent son mental:
l’ignorance, le doute et la fausse identification, sont les obstacles à
renverser:
a/ Pour dissiper complètement l’ignorance, le disciple
doit entendre constamment la Vérité jusqu’à ce que la connaissance de celle-ci
devienne parfaite.
b/ Pour dissiper ses doutes, il doit réfléchir sur ce
qu’il a entendu. Finalement sa connaissance sera débarrassée de toute
incertitude.
c/ Pour dissiper les fausses identifications du Soi
avec le non-Soi (telles que le corps, les sens, le mental ou l’intellect), son
mental doit être totalement concentré.
Lorsque ces degrés ont été atteints, les obstacles
sont dépassés et le samâdhi se
réalise, autrement dit, la Paix règne (...) Shravana
dissipe l’illusion que le Soi se confond avec le corps, etc. La réflexion [manana] donne la certitude que la Connaissance
est le Soi. La concentration [nidhidhyâsana]
révèle le Soi comme étant Infinitude et Félicité ». [Talks, p. 204.]
Upadesha-sâram
Râmana Maharshi a composé en tamoul plusieurs traités
doctrinaux aussi bien en prose qu’en vers. Parmi ceux-ci un seul a été traduit
en sanscrit par le Maharshi lui-même. Il s’agit du traité intitulé Upadesha-undiyâr, en tamoul et en
sanscrit Upadesha-sâram, « La
quintessence (sâram) de
l’enseignement (upadesha) ».
Suivons maintenant ce texte dans une première traduction française faite
directement à partir de la version sanscrite:
1- « Est-ce que l’action (karma) est identique au [Principe] Suprême (param) ? Non, l’action n’est pas un principe en elle-même, en ce
sens elle est inerte (jada). Si
l’action porte des fruits (phala),
c’est uniquement à l’autorité (â-JNâ)
du Principe de la manifestation (kartâ)
qu’elle le doit ».
La Maharshi nous dit également:
« L’action (karma)
porte ses fruits (phala). L’un et
l’autre sont comme cause et l’effet. Cette relation d’une cause et de ses
effets est due à la Shakti, que l’on
nomme Dieu. Dieu est le Phaladâtâ (
le Dispensateur des fruits) ». [Talks,
p. 248.]
Cette première strophe, ainsi que les suivantes font
aussi écho à la troisième strophe de L’âtma-bodha
de Shankara:
« N’étant pas opposé à l’ignorance (a-vidyâ), l’action (karma) ne la détruit pas; par contre, la connaissance (vidyâ) détruit l’ignorance (a-vidyâ) aussi sûrement que la lumière (tejas) dissipe les ténèbres (timira) ».
En réponse à une question concernant, dans cette
strophe, le terme jada (inerte) qui
se distingue résolument de la notion de conscience (chit), Râmana répondit:
« L’upadesha
(l’instruction) se rend au niveau de celui qui l’écoute. Il n’y a pas de Vérité
dans l’inerte (jada). Seule prévaut
la Conscience (chit) qui est
unique ». [Talks, p. 415.]
2- « Les fruits (phala) [de l’action] sont transitoires (ashâshvata); ils sont à l’origine (kârana) [,en l’attisant,] de cette chute (patana) dans le grand (mahâ)
océan (udadhi) des actes (kriti) qui détourne (nirodhaka) de la voie (gati) [menant à la Réalisation] ».
« La difficulté actuelle est que l’homme
s’imagine être l’auteur de ses actes. Mais, c’est une erreur. C’est le
Puissance supérieure qui fait toute chose et l’homme n’est qu’un instrument.
S’il accepte cette position, il se libère de tous ses troubles; sinon il les
favorise. Prenez l’exemple d’une image sculptée sur un gopura [tour à l’entrée d’un temple], et qui donne l’impression de
porter le poids de la tour sur ses épaules. Son attitude, son regard donnent le
sentiment d’un effort considérable. Mais réfléchissez. La tour est bâtie sur la
terre et elle repose sur ses propres fondations. Le personnage sculpté (tel
Atlas portant la Terre) fait partie de la tour, mais il a été figuré de telle
façon qu’il semble la soutenir; N’est-ce pas amusant ? il en va de même pour
l’homme qui garde le sentiment d’être l’auteur de ses actes ». [Talks, p. 69.]
3- « Les actes (krita) accomplis avec détachement (na-icchayâ) et dédiés à l’Etre (îshvara,
Dieu) purifient la pensée (chitta) et
mènent à la Délivrance (mukti) ».
« Le Karma
(l’acte) désintéressé purifie le mental et aide à le maintenir en
méditation ». [Talks, p. 83.]
4- « L’hommage rituel (pûjana), la répétition de mots sacrés (japa), la réflexion méditative (chintana)
répondent respectivement au corps (kâya),
à la parole (vâch) et au mental (manas); et dans cet ordre acquièrent une importance
croissante (uttama) ».
Ecoutons le Maharshi:
« Le japa
mental est excellent. Il favorise la méditation. Votre mental s’identifie à ce
que vous répéter et vous comprenez alors en quoi consiste réellement le rite (pûjâ): La disparition de la notion
d’individualité est le but du rite ». [Talks,
p. 39.]
« La pûjâ
journalière, telle qu’elle est prescrite dans les Dharma-Shâstras, est toujours une bonne chose. Elle produit en
effet une purification du mental. Même si l’on se sent trop avancé
spirituellement pour avoir recours à une telle pûjâ, elle doit être accomplie néanmoins pour assurer la
purification des autres personnes de son entourage. Elle constitue un excellent
exemple à donner à ses enfants et autres membres de sa famille ». [Talks, p. 522.]
« La prononciation, puis le souvenir et enfin la
méditation sont les trois phases successives qui aboutissent finalement au japa involontaire et éternel. Le japa-kartri (celui qui fait le japa) qui pratique ce japa, c’est le Soi ». [Talks, p. 77.]
« Le japa
est de deux sortes: grossier et subtil. La répétition subtile des mantras est une méditation sur les mantras. Elle contribue à donner de la
force au mental ». [Talks, p.
194.]
« Vous répétez toujours le mantra automatiquement. Si vous n’êtes pas conscient de l’a-japa (le chant indicible, [le
Silence]) qui s’accomplit éternellement il vous faut alors pratiquer le japa. Le japa nécessite un effort. Cet effort est nécessaire pour vous dégager
de toutes les autres pensées. Le japa
devient par la suite mental et intérieur. Finalement vous réaliserez l’éternel
nature de cet ajapa. Vous découvrirez
qu’il se déroule tout seul sans exiger de vous le moindre effort. L’état sans
effort est l’état de réalisation ». [Talks,
p. 272.]
5- « Honorer (yukta-sevana)
le monde (jagat) comme une
manifestation (dhî, pensée) de l’Etre
(îsha, Dieu), c’est honorer (pûjana) le Divin (deva) qui use de ses huit formes (ashta-mûrti) pour se manifester (bhrit, BHRi) ».
Ces huit formes
sont, comme nous l’avons vu dans l’Hymne
à Dakshinâmûrti composé par Shankara: les cinq éléments, le Soleil, la Lune
et l’esprit.
Au commencement de sa pièce intitulée abhijnâna-shâkuntala, Kâlidâsa fait
adresser cette prière:
« Puisse le Seigneur Shiva vous protéger par les
huit formes où il se révèle: l’eau, qui fut la première chose créée; le feu,
qui porte l’offrande rituelle, le prêtre (hotri),
qui officie; le soleil et la lune, les deux qui ponctuent le temps; l’éther qui
, véhicule du son, occupe l’univers après l’avoir empli; la terre, qui porte
les germes; l’air, le souffle de la vie. »
6- « Le chant de louange (stava) à voix basse (manda)
est supérieur (uttama) à celui
prononcé à voix haute (uchcha), mais
bien supérieur (uttama) encore est la
récitation des mots sacrés (japa) nés
(ja) de la pensée (chitta) dans une [silencieuse]
méditation (dhyâna) ».
Râmana nous explique ainsi:
« Le japa
oral n’est qu’un ensemble de sons. Les sons émergent des pensées. On doit
penser pour pouvoir exprimer les pensées en mots. Les pensées constituent le
mental. Le japa mental est supérieur
au japa oral (...) Quand le japa devient mental, pourquoi recourir à
son expression orale ? Le japa,
devenant mental, devient contemplation. Contemplation (dhyâna) et japa mental
sont identiques. Quand les pensées cessent de s’entremêler et qu’une seule
pensée demeure, à l’exclusion de toutes les autres, on considère qu’il s’agit
alors de contemplation. L’objet du japa,
ou de dhyâna, est d’exclure toutes
les pensées sauf une et de se concentrer sur cette unique pensée. Jusqu’au
moment où cette pensée finit elle-même par se noyer en sa propre source, la
conscience absolue, c’est-à-dire le Soi. Le mental s’engage dans le japa et finit par se noyer dans sa
propre source ». [Talks, p.
296.]
7- « Comme (sama)
un flot (dhârâ) [continu]de beurre
fondu (âjya) ou le courant [continu]
d’un fleuve (srotas), la réflexion
méditative (chintana) ininterrompue (sarala) est supérieure (param) à celle qui est entrecoupée (virala) ».
Râmana précisera:
« La méditation doit être continue comme un cours
d’eau. Si elle est ininterrompue, on l’appelle samâdhi ou kundalinî shakti ».
[Talks, p. 439.]
8- « La
compréhension (bhâvanâ, conception)
qui prend forme (bheda) lors de
l’énoncé (iti): « Je suis Cela (so’ham, sah-aham) » est plus
purifiante (pâvanî) si cette
compréhension (bhâvanâ) aboutit (matâ) à une non-distinction (a-bhidâ) [entre « Je » et
« Cela »] ».
Rappelons, à nouveau, ce que
Râmana nous explique:
« Les trois formules
sont: na-aham [pas-Je]; koham (kah-aham) [Qui-Je]; soham
(sah-aham) [Il-Je]. Rejeter tous les
préfixes (na, kah, sah) et
maintenez-vous dans le commun dénominateur, c’est aham, c’est le « Je », voilà l’essentiel ». [Talks, p. 418.]
9- « Demeurer heureux (susthiti) en l’Etre (sat),
vide (shûnya) [libre de toutes
pensées], par la puissance (bala) de
la compréhension (bhâvanâ); telle est
la suprême (uttama) dévotion (bhakti) ».
Râmana précise:
« Les termes shûnya
(le vide ou vacuité), ati-shûnya
(l’au-delà du vide) et mahâ-shûnya
(le vide immense) désignent la même chose, à savoir l’Etre réel
seulement ». [Talks, p. 300.]
10- « Fixer (sthala)
le mental (manas) dans le Coeur (hrid) est l’aboutissement (kriyâ) par excellence (svasthatâ), en toute certitude (nish-CHI),
de la dévotion (bhakti), de l’union (yoga) et de la connaissance (bodha) ».
Râmana nous fait comprendre que les voies de bhakti, de yoga et de jnâna tendent
vers le même but qui est l’identification dans le Coeur spirituel.
On demanda au Maharshi de désigner le meilleur des yogas (karma, jnâna, bhakti, hatha). Il répondit:
« Lisez le verset 10 de l’Upadesha sâram. Etre
établi dans le Soi, équivaut à tous ces yogas
dans leur sens le plus élevé. Dans le sommeil sans rêves, il n’y a plus ni
monde, ni ego, ni souffrance. Seul le Soi subsiste. Dans l’état de veille, il y
a le monde, l’ego et la souffrance; mais le Soi est aussi présent. Il suffit
seulement de se débarrasser des états transitoires, pour réaliser la félicité
toujours présente du Soi. Votre nature est Félicité. Découvrez cela sur quoi
tout le reste s’est surimposé et vous resterez comme le pur Soi ». [Talks, p. 156.]
A un visiteur, ayant lu l’Upadesha sâram en sanscrit et ne parvenant pas à pacifier son
mental, Râmana citera cette strophe 10 en concluant: « C’est toute la
vérité en une seule phrase ». [Talks,
p. 184.]
11- « Le mental (manas) peut être contenu (Lî,
entraver) [et contrôlé] par la rétention (rodhana) [régulée] du souffle (vâyu),
comme un oiseau (pakshi) peut être
arrêté par un filet. Cette pratique (sâdhana)
est le rodha-sâdhana ».
Cette pratique est celle de la rétention (rodha) du mental (manas).
« Le contrôle de la respiration agit comme une
aide, mais ne peut jamais de lui-même vous conduire au but. Pendant que vous
l’effectuez mécaniquement, gardez toujours le mental en alerte, souvenez-vous
de la pensée-« Je » et recherchez-en la source. Vous vous apercevrez
alors que là où la respiration s’évanouit, émerge la pensée-« Je ».
Ils émergent et disparaissent ensemble. Lorsque la pensée-« Je » aura
totalement disparu avec la respiration. Alors, simultanément, un lumineux et
infini « Je-Je » se manifestera de façon continu et ininterrompu.
Voilà le but ». [Talks, p. 313.]
Citons également cette réponse:
« Le mental est quelque chose de mystérieux. Il
se compose de sattva, rajas et tamas. Les deux derniers donnent naissance à vikshepa [ce qui se manifeste]. Dans son aspect de sattva, le mental reste pur, non
contaminé. Il ne donne asile à aucune pensée, il est identique au Soi. Le
mental est comparable à l’âkâsha
(l’éther). De même qu’il y a des objets dans l’âkâsha, il y a des pensées dans le mental. L’âkâsha est la contrepartie du mental et les objets sont la
contrepartie des pensées. Il est inutile d’espérer mesurer l’univers et étudier
les divers phénomènes. C’est impossible. Car les objets ne sont que des
créations mentales. Vouloir les mesurer est comparable à la tentative de celui
qui met le pied sur sa propre ombre pour la bloquer. Plus il avance, et plus
l’ombre recule devant lui. il est donc impossible d’immobiliser son ombre en
lui mettant le pied dessus (...) Quand un enfant voit son ombre et cherche à
attraper l’ombre de sa tête. Plus il se penche et tend la main, plus l’ombre
s’éloigne. L’enfant lutte de plus en plus. Sa mère prend pitié de ses efforts
inutiles. Aussi prend-elle la main de son enfant, la lui met sur la tête en lui
faisant observer à terre l’ombre de sa main tenant l’ombre de sa tête. Il en va
de même pour l’ignorant qui cherche à étudier l’univers. L’univers est
uniquement un objet crée par le mental et qui a son être dans le mental. Il ne
peut être mesurer comme une entité extérieure. Pour atteindre l’univers, il
faut au préalable atteindre le Soi. De nombreuses personnes me demandent
comment contrôler leur mental. Je leur réponds: « Montrez-moi d’abord
votre mental; vous saurez alors ce qu’il faut faire. » Le fait est que le
mental n’est qu’un agglomérat de pensées. Comment voulez-vous le supprimer par
la simple pensée ou par le désir de vouloir le faire ? Vos pensées et vos
désirs sont des parties et des parcelles du mental Le mental s’accroît
simplement par l’émergence de nouvelles pensées. Par conséquent, il est stupide
de vouloir tuer le mental au moyen du mental. La seule manière de s’y prendre
consiste à trouver sa source et à s’y agripper. Le mental disparaîtra alors de
lui-même. Le yoga enseigne le chitta-vritti-nirodha (contrôle des
activités du mental). Mais je vous indique l’âtma-vichâra
(l’investigation du Soi). C’est la voie pratique. Chitta-vritti-nirodha se produit dans le sommeil, la syncope ou par
inanition. Dès que la cause est supprimée, les pensées affluent de nouveau en
grand nombre. A quoi sert-il donc [le contrôle mental] ? Dans cet état de
torpeur, il y a la paix et pas de souffrance. Mais dès que l’engourdissement a
passé, la souffrance revient. Par conséquent nirodha (le contrôle) est sans [réel] utilité et ne peut produire
un bénéfice durable. Comment s’y prendre alors pour que le bénéfice soit
durable ? Il suffit de trouver la cause de la souffrance. La souffrance est due
aux objets. S’ils ne sont plus là, il n’y aura plus de pensées contingentes et
la souffrance disparaîtra. « Comment faire pour que les objets cessent
d’être ? » Telle doit être la question suivante. La shruti et les sages répètent que les objets ne sont que des
créations mentales. Ils n’ont pas d’existence indépendante. Livrez-vous à une
étude approfondie de la question et vous vous rendrez compte de la véracité de
cet exposé. Le résultat auquel vous aboutirez sera que le monde objectif réside
dans la conscience subjective. Par conséquent, le Soi est l’unique Réalité qui
pénètre et aussi qui enveloppe la manifestation. Et comme il n’y a pas de
dualité [dans le Soi], nulle pensée ne viendra troubler votre paix. Voilà ce
qu’est la réalisation du Soi. Le Soi est éternel. Il en va de même de la
Réalisation ». [Talks, pp.
462-464.]
12- « La pensée (chitta) et le souffle (vâyu),
liés (yukta) à la conscience (chit) et à l’action (kriyâ) sont les deux rameaux (shakhâ) d’une racine (mûla) commune (dvayî), la « toute-puissance », la shakti ».
« Cette Paix est votre Réelle nature. Toutes les
idées contraires sont des surimpositions. Elle est la vraie bhakti [dévotion], le vrai yoga et le vrai jnâna [connaissance]. Vous pouvez prétendre que cette paix est
acquise par la pratique [d’une discipline spirituelle]. Les fausses notions
sont éliminées par la pratique. Mais c’est tout ce que vous pouvez dire. Car
votre vraie nature est éternellement présente (...) Le Coeur est le Soi. Il
n’est ni intérieur ni extérieur. Le mental est Sa shakti. Dès que le mental émerge, l’univers fait son apparition et
le corps semble y être inclus. Mais en vérité, tous ces aspects [mental,
univers, corps] sont intégrés dans le Soi et n’ont pas d’existence autre que le
Soi ». [Talks, p. 256.]
Ecoutons toujours le Maharshi qui nous parle de cette
notion de shakti au travers de celles
de mâyâ et de svatantra:
« Les Védântins disent que Mâyâ est la Shakti de
l’illusion dont les prémisses se trouvent en Shiva. Mâyâ n’a pas d’existence indépendante. Ayant engendré l’illusion
d’un monde en le présentant comme réel, elle continue à jouer sur l’ignorance
de ses victimes. Quand la réalité de sa « non-existence » est
découverte, elle disparaît. « Ceux qui la reconnaissent » [pratyabhijnâ, reconnaissance] disent que
la Shakti (la puissance) et Shiva
coexistent indissolublement. Ils ne peuvent exister l’un sans l’autre. Shiva
demeure non manifesté tandis que Shakti
se manifeste en vertu de son indépendante volonté (svatantra). La manifestation de Shakti
est donc la projection du Cosmos sur la pure conscience, telles les images
reflétées dans un miroir. Ces images ne peuvent subsister en l’absence du
miroir. De même le monde n’a aucune réalité indépendante. Svatantra n’est finalement qu’un simple attribut du Suprême. Shrî
Shankara affirme que l’Absolu est dépourvu d’attributs et que Mâyâ est ce « qui n’est pas »,
et n’a aucune existence réelle. Quelle différence existe-t-il entre les deux
[points de vue: Svatantra et Mâyâ] ? Les deux sont d’accord pour
conclure que la manifestation est irréelle. De même que les images d’un miroir
ne peuvent en aucun cas être réelles, ainsi le monde n’existe pas en réalité ([vastu, réalité]; vastutah, en réalité). Les deux écoles enseignent donc la même
choses. Leur but ultime est la Conscience Absolue. L’irréalité du cosmos est
implicite dans [l’Ecole de] la Reconnaissance (pratyabhijnâ), alors qu’elle est explicite dans [l’Ecole du]
Védânta. Si l’on considère le monde comme étant chit (la conscience), alors il est toujours réel. Le Védânta
affirme que la diversité (nânâ-tva)
n’existe pas, et que tout participe de la même Réalité. Tout le monde est donc
d’accord sur le fond de la question, seuls les termes et modes d’expression
diffèrent ». [Talks, p.247.]
13- « L’absorption (laya) et la destruction (nâsha)
sont les deux moyens de rétention (rodhana),
[de contrôler le mental]; quand il ,[le mental], est simplement absorber (laya), il émerge de nouveau (punar), mais pas quand il est détruit (mrita) ».
Le Maharshi commente ainsi:
« Le mental peut être à l’état latent et plonger
dans le Soi; il doit nécessairement émerger à nouveau. Quand il émerge, on se
retrouve alors identique à ce que l’on était avant. Car dans cet état les
prédispositions mentales sont présentes sous forme latentes, prêtes à se
remanifester si les conditions sont favorables. Les activités mentales peuvent
aussi être détruites complètement. Il y donc une différence avec le mental
précédent car, dans ce deuxième cas, l’attachement est rompue et ne réapparaît
plus; Lorsqu’un homme a traversé l’état de samâdhi
et qu’il contemple ensuite le monde, il ne considère celui-ci qu’à sa juste
valeur, c’est-à-dire comme un phénomène [manifestation] de l’Unique Réalité.
L’Etre Véritable ne peut être réalisé qu’en samâdhi;
Ce qui était alors, est également maintenant. Sinon, il ne peut y avoir de
Réalité ni d’Etre éternellement présent. Ce qui était durant le samâdhi est toujours présent, en tout
lieu et de tout temps. La pratique du samâdhi
vous y conduira. Sinon à quoi servirait donc l’état de nirvikalpa samâdhi dans lequel l’homme reste immobile comme peut
l’être une bûche en bois ? Il doit nécessairement sortir de cet état à un
moment ou à un autre et faire face au monde. Mais, dans l’état de sahaja-samâdhi, il reste inaffecté par
le monde. Il y a tant d’images qui défilent sur un écran de cinéma; Le feu
brûle toutes choses, l’eau ravage tout, et cependant l’écran reste impassible.
Les situations représentées ne sont que des manifestations qui passent en
laissant l’écran intact. Il en est de même pour le jnânî. Les manifestations du monde défilent devant lui et le
laissent parfaitement inaffecté. Vous pouvez certes soutenir que les gens
ressentent de la douleur ou du plaisir au contact des manifestations du monde.
Cela est dû à des surimpositions. Cela ne devrait pas avoir lieu. C’est avec ce
but en vue qu’il convient de se livrer à la pratique spirituelle. Celle-ci s’effectue
en suivant l’une ou l’autre des deux voies: la dévotion ou la connaissance; A
vrai dire, ces deux voies ne sont pas le but véritable [la voie n’est pas le
but, mais ce qui y mène]; Il faut avant tout obtenir le samâdhi et le pratiquer continuellement jusqu’à l’obtention du sahaja samâdhi. Après, il ne reste plus
rien à faire ». [Talks, p. 439.]
« Dans le sommeil profond, le mental est immergé,
mais il n’est pas détruit. Ce qui est immergé, tôt ou tard, émerge. Il en est
de même pour la méditation. Mais le mental qui est détruit ne peut plus
réapparaître. Le but du yogî doit
donc être de détruire le mental et non pas de plonger en laya. Dans la paix de dhyâna,
le laya se produit mais cela n’est
pas suffisant. Il faut aussi avoir recours à des pratiques complémentaires pour
détruire le mental. Ainsi certaines personnes qui sont entrées en samâdhi avec une pensée quelconque,
lorsqu’elles sont revenues à elles longtemps après, ont retrouvé cette même
pensée ». [Talks, p. 79.]
14- « Quand le mental (manas) a été entravé (lîna,
Lî) par la rétention (bandhana)
du souffle (prâna), il peut être
détruit (nâsha) par la réflexion
méditative (chintana) en l’Un (eka) qui réalise cela (adas), [le Soi] ».
« Le désir du bonheur (sukha prema, [l’amour de la félicité]) est la meilleure preuve du
bonheur éternel du Soi. Autrement, comment voulez-vous que ce désir puisse
s’éveiller en vous ? Si le mal de tête était naturel à l’homme, ce dernier
n’essaierait pas d’y échapper. Or tout homme qui a mal à la tête cherche à s’en
défaire, parce qu’il a connu des moments où il n’avait pas mal à la tête.
L’homme ne désire que ce qui est naturel pour lui. Aussi désire-t-il le
bonheur, parce que le bonheur est naturel pour lui. Ce qui est naturel n’a pas
à être conquis [puisque cela est de toute éternité]. Par conséquent, les
efforts de l’homme ne peuvent viser qu’à se débarrasser de sa misère. S’il y
parvient, il connaîtra aussitôt la félicité éternelle. La félicité primordiale
est obscurcie par le non-Soi, synonyme de non-félicité, de malheur. Duhkha nâsha = sukha prâpti (la
suppression de la douleur = l’obtention de la félicité). Le bonheur mélangé au
malheur n’est que malheur. C’est quand le malheur est complètement éliminé que
l’on peut dire que la félicité éternelle est obtenue ». [Talks, p. 583.]
15- « Le suprême (utkrishta) Yogî dont le mental (manas)
est détruit (nashta), Qu’a-t-il
[encore] à faire (kritya), et Qui
demeure en sa propre nature (sva-sthiti)
? ».
La réponse devrait être évidente. Sa propre nature
étant le Soi, il n’a plus rien à faire au sens où il est alors totalement
détaché des actes (karma).
« Le jnânî
demeure pleinement conscient que l’état véritable de l’Etre consiste à rester
fixe et immobile au centre de toutes les actions qui se déploient autour de
lui. La nature du jnânî ne change pas
et son état n’est pas altéré le moins du monde. Il regarde toutes choses comme
si elles ne le concernaient pas et il demeure en lui-même dans une parfaite
félicité. L’état du jnânî est l’état
de vérité, et également l’état d’être naturel et primordial. Lorsque l’homme y
parvient, il doit s’y fixer fermement. Une fois fixé, il le sera pour toujours.
(...) Il n’y a aucune différence entre un jnânî
et un a-jnânî en ce qui concerne leur
conduite. La seule différence concerne uniquement leur point de vue. L’ignorant
s’identifie à son ego et prend par erreur ses activités pour celles du Soi,
tandis que l’ego du jnânî a été
abandonné. Le jnânî ne s’y limite
plus, ni à aucune autre chose ». [Talks,
p. 560.]
16- « Si la pensée (chitta) est détournée (vârita)
des objets perçus (drishya) [par les
sens] pour être focalisée sur la contemplation (darshana, vision) consciente (chit-tva)
du Soi (âtmâ), alors s’établit la
contemplation (darshana) de la
Réalité (tattva) ».
« Un être séparé [illusoirement du Soi] s’imagine
connaître quelque chose qui est distinct de lui-même (le non-Soi). Autrement
dit, le sujet est conscient de l’objet. Le spectateur [sujet], c’est drik, le spectacle [objet], c’est drishya. Entre ces deux aspects doit
exister un point commun qui émerge en tant qu’« l’ego ». Cet ego est
de même nature que chit (l’intelligence).
A-chit (l’objet inanimé) n’est que la
négation de chit. Par conséquent,
l’essence sous-jacente [existant entre sujet et objet] est analogue au sujet,
mais différente de l’objet. En recherchant le drik, jusqu’à ce que tous les drishyas
disparaissent complètement, le drik
deviendra de plus en plus subtil jusqu’à ce que ne survive que le drik absolu. Ce processus est appelée drishya vilaya (la disparition du monde
objectif) (...) L’élimination de drishya
signifie l’élimination des identités séparées du sujet et de l’objet
[élimination de la séparativité). L’objet est irréel [relatif]. Tout drishya, y compris l’ego, constitue
l’objet. Lorsqu’on élimine l’irréel, la Réalité subsiste. Quand une corde est
prise par erreur pour un serpent, il suffit de détruire la fausse perception du
serpent pour que la vérité se révèle. Sans une telle élimination, la vérité
n’apparaît pas ». [Talks, p.
23.]
On se remémorera cette strophe (27) de l’âtma-bodha
de Shankara:
« Prenant à tort jîva pour le Soi, l’homme est effrayé, comme une personne qui, par
erreur, prend une corde pour un serpent. Mais il est tout à fait libéré de la
peur s’il se connaît non en tant que jîva
mais en tant que le suprême Soi (parâtmâ). »
17- « Si l’on se place sur la voie (mârga) qu’il faut suivre (krita) en demandant : « Qu’est-ce
que le mental (manas) ? Alors on doit
se dire : « Le mental (manas)
n’est pas (na) ». Ceci est la
voie (mârga) directe (ârjava) ».
A un interlocuteur qui constatait que le mental
pouvait être comparé à un agglomérat de pensées, Râmana répondit:
« C’est parce qu’il fonctionne à partir d’une
racine unique, la pensée-« Je » [Talks,
p. 396.] Le Maharshi cite alors cette strophe (17) en sanscrit de l’Upadesha sâram (Mânasam tu kim mârgane krite
naiva mânasam mârga ârjavât) et précise:
« Le mental n’a aucune réelle existence en tant
qu’entité séparée ». [Talks, p.
396.]
Cette voie directe fait écho à la strophe 2 de l’âtma-bodha
de Shankara:
« De tous les moyens (sâdhana) qui tendent vers la Délivrance (moksha), la connaissance (jnâna)
est le seul qui soit direct (sâkshât,
directement); aussi essentiel que le feu pour la cuisson; sans la connaissance,
la Délivrance ne peut être obtenue. »
18- « Toutes les pensées (vritti) sont liées (â-SHRI) à une pensée première (vrittaya) qui est « Je » (aham), or le mental (manas) est cette pensée première (vrittaya); donc le mental (manas) est cette idée (dhî) qui se connaît (vid) comme « Je » (aham) ».
« La vraie connaissance est au-delà de la
connaissance relative et de l’ignorance. Elle ne revêt pas la forme de vritti. En elle il n’y a ni sujet ni
objet (...) Vritti n’est qu’une
modalité mentale. Vous n’êtes pas le mental. Vous êtes bien au-delà ». [Talks, p. 75.]
« Vritti
est d’une durée limitée; c’est la conscience qualifiée et dirigée; c’est la
Conscience absolue troublée par l’irruption des pensées, par les sens, etc. Vritti est donc le mode fonctionnel du
mental; tandis que la Connaissance continuelle transcende le mental. Cette
dernière est l’état naturel et primordial du jnânî, de l’être libéré. Elle constitue une expérience
ininterrompue. Elle s’impose dès que la conscience relative décline ». [Talks, p. 267.]
« Le mental n’est que le résultat de
l’identification du Soi au corps. C’est un faux ego qui est alors crée.
Celui-ci produit, à son tour, de faux phénomènes et semble se mouvoir parmi
eux. Tout cela est faux. Le Soi est la seule Réalité. Si cette fausse
identification est détruite, la persistance de la Réalité devient évidente.
Cela ne veut pas dire que la Réalité n’est pas déjà ici, et dès maintenant.
Elle est toujours présente et éternellement la même. Elle existe dans
l’expérience de chacun de nous. Chacun sait en effet qu’il existe. « Qui
est-il ? » Subjectivement, « Qui suis-Je ? » Le faux ego est
associé à des objets; cet ego étant lui-même son propre objet. C’est
l’objectivation qui est une erreur. Le sujet seul est la Réalité. Ne vous
confondez pas avec l’objet, nommément le corps. Cette méprise donne d’abord
naissance à votre faux ego, puis au monde et à vos déplacements dans ce monde,
avec leur cortège de souffrance. Ne vous pensez pas vous-même comme étant ceci,
cela, ou autre chose; ni comme étant comme ceci ou comme cela, ou comme tel ou
tel. Débarrassez-vous seulement de l’erreur. La Réalité se révélera d’elle-même ».
[Talks, p. 51.]
19- « Si l’on se demande: « D’où ce (ayam) « Je » (aham) émerge ? » Cette recherche (ChI) interrogative (ayi) aboutit à ce que le « Je » (aham) disparaisse (PAT).
Telle est l’investigation (vichâra)
de ce qui a toujours été (ni-ja),
[l’investigation du Soi] ».
Le Maharshi emploie un synonyme significatif pour
désigner l’âtma-vichâra. Si l’on croit avoir trouvé ce qu’est ce « Je »,
alors il faut de nouveau s’interroger sur cette découverte en se posant à
nouveau la question. L’intégration qui résultera de ce questionnement indéfini aboutira,
si l’on est qualifié, au « passage à la limite » qui est la
réalisation du Soi. Cette réalisation n’a jamais cessé d’être (ni-ja) car elle n’est pas la réponse à
cette interrogation. Ce n’est pas une réponse de plus, ni une ultime réponse
mais ce qui est au-delà de la question et de la non-question, comme de la
réponse et de la non-réponse. La « limite » est toujours présente
puisqu’elle n’appartient pas au devenir.
« Vous vous identifiez actuellement avec un faux
« Je » qui est la pensée-« Je ». Cette
pensée-« Je » émerge et disparaît, alors que la vraie signification
du « Je » est au-delà de cette alternance. Il ne peut y avoir dans
votre être aucune discontinuité. C’est vous qui dormiez et c’est aussi vous qui
êtes actuellement éveillé. Il n’y avait aucune souffrance durant votre sommeil
profond. Alors qu’en ce moment vous vous sentez malheureux. Qu’est-il donc
arrivé, pour que vous ressentiez cette différence ? Il n’y avait pas de
pensée-« Je » dans votre sommeil, alors qu’en ce moment elle est
présente. Votre vrai « Je » ne se montre pas et c’est le faux
« Je » qui s’exhibe. C’est ce faux « Je » qui fait obstacle
à votre vraie connaissance. Cherchez d’où ce faux « Je » émerge et
vous le verrez disparaître. Et vous constaterez que vous n’êtes rien d’autre
que ce que vous êtes, c’est-à-dire l’Etre absolu ». [Talks, p. 184.]
20- « D’où le « Je » (aham) émerge (bhâj) et s’évanouit (nâsha);
de là , par ce « Je-Je » (aham-aham),
brille (SPHUR) spontanément (svayam) le Coeur (hrit), l’Etre (sat)
Suprême (parama) Infini (pûrna) ».
Dans cette strophe, le Maharshi use de cette
terminologie qui est propre à son enseignement en forgeant deux substantifs à
partir du pronom personnel au nominatif aham.
Le premier a déjà été utilisé dans certaines strophes précédentes sans que l’on
puisse explicitement distinguer le pronom du substantif puisqu’il est employé
au nominatif dans les deux cas sous la forme aham. Par contre, dans cette strophe il se distingue comme substantif
en étant décliné au locatif ahami. Le
second très caractéristique, ahamaham
(aham-aham) est une véritable
« équation » ontologique dont l’ultime solution est métaphysique, le nirguna Brahma.
21- « Cela [« Je-Je », l’Infini] est le
sens (pada) véritable du
« Je » (aham) puisque le
« Je » (aham) émerge (anu, est à nouveau) [au réveil] et
disparaît (lîna, Lî) [dans le sommeil
profond] alors que la Réalité (sattâ)
est permanente (a-laya,
indissoluble) ».
« Celui qui dormait est maintenant éveillé. Le
bonheur régnait alors mais le malheur est survenu au réveil. Il n’y avait pas
de pensée-« Je » durant le sommeil alors qu’elle existe maintenant
que vous êtes éveillé. L’état de bonheur et l’absence de la
pensée-« Je » font naturellement partie du sommeil, sans effort. Le
but devrait être de réaliser ce même état même maintenant. Ceci requiert des
efforts. Efforcez-vous d’obtenir [les caractéristiques de] l’état de sommeil
durant votre veille. Vous serez alors « réalisé ». L’effort consiste
à anéantir la pensée-« Je » et non pas à faire entrer le vrai
« Je ». Car ce dernier est éternel et n’exige aucun effort de votre
part ». [Talks, p. 185.]
22- « Le « Je » (aham), l’ Etre (sat) Un (eka), n’est ni le corps (vigraha), ni les facultés de sensation
et d’action (indriya), ni le souffle
(prâna), ni la pensée (dhî), ni l’ignorance (tamas) qui sont tous inertes (jada) et irréels (a-sat) ».
« [Tout est Brahma.]
Mais tant que vous considérez les pensées comme étant séparées [du Tout], il
est préférable de les éviter. Si en revanche vous découvrez qu’elles sont le
Soi, il n’y a plus aucun besoin de dire « Toutes ». Car tout ce que
existe, est seulement Brahma. Il n’y
a rien d’autre que Brahma (...) Quand
vous voyez les objets dans la perspective de la multiplicité, ils sont a-sat, c’est-à-dire irréels. Mais quand
vous les voyez comme étant en Brahma,
alors ils sont réels, parce qu’ils tirent leur réalité de leur substrat qui est
Brahma (...) [Dire que le corps, les
sens, etc. sont jada (inertes)], cela
revient au même que de dire, (...), que le corps, les sens, le mental, etc.
sont séparés du Soi. Mais quand on réalise le Soi, on découvre alors que le
corps, les sens, le mental, etc. ne sont pas distincts du Soi, mais sont en
Lui. A ce stade de compréhension, personne ne pose plus la question ni n’a plus
à dire qu’ils sont inertes ». [Talks,
p. 269.]
« Sat-chit-ânanda
est employé pour indiquer que le Suprême n’est pas asat (Il est différent de l’irréel) ni achit (Il est différent de l’inconscience) ni anânanda (Il est différent du malheur), c’est parce que nous sommes
dans le monde phénoménal que nous désignons le Soi comme sat-chit-ânanda ». [Talks,
p. 402.]
« Sat
veut dire au-delà de sat et de a-sat, chit au-delà de chit et
de a-chit, ânanda au-delà de la félicité et de la non-félicité. Qu’est-il
alors ? S’il n’est ni sat, ni asat, on doit le considérer comme étant
seulement sat. Comparons avec le
terme jnâna. Jnâna est au-delà de la connaissance et de l’ignorance. Et
cependant jnâna n’est pas l’ignorance
mais la connaissance. Il en va de même de sat-chit-ânanda »
[Talks, p. 403.]
23- « Où y aurait-il une autre conscience (chit) pour connaître (bhâs, lumière) le Réel (sattva) ? Le « Je » (aham) est cette Réalité (sattâ) et cette conscience accomplie (chit-chitta) ».
Sattva est, comme nous l’avons déjà vu, le troisième guna. Celui qui est le plus élevé.
24- « Malgré la différence (bhidâ) d’attributs (vesha)
et de conception (dhî) entre la
divinité (îsha, Dieu) et l’être
individuel (jîva), ils [îsha-jîva]
ne sont qu’une seule (kevala) Réalité
(vastu), ils ne font qu’un seul (sva-bhâvata) Etre (sat) ».
Le composé îsha-jîva
est décliné au duel ce qui implique qu’ils sont conçus comme deux réalités
totalement identiques.
25- « Lorsque l’on se reconnaît sans (hâna, cessation) attributs (vesha), on se voit (darshana) identique (sva)
au Soi (âtmâ); cette contemplation (darshana) de la divinité (îsha) est alors la forme (rûpa) même (sva) du Soi (âtmâ) ».
Il convient de transposer les notions de vision (darshana, contemplation) et de forme (rûpa) qui ne sont employés ici que comme
symbole de ce qui justement ne peut ni se voir ni prendre forme.
26- « S’unir (samsthiti)
au Soi (âtmâ), c’est être dans la
contemplation (darshana) même (sva) du Soi (âtmâ), il n’y a pas deux (nir-dvaya)
Soi (âtmâ), on est identifié (nishtha) au Soi (âtmâ)».
« La véritable méditation est âtma-nishtha (la concentration sur le
Soi). On appelle généralement méditation, l’effort requis pour chasser du
mental les pensées chaque fois que celles-ci s’y présentent. âtmanishtha est votre état naturel.
Restez donc tel que vous êtes. Voilà le but ». [Talks, p. 256.]
27- « La [vraie] conscience (chit) dépasse (hîna)
l’ignorance (a-jnâna) comme elle
dépasse (varjita) la connaissance (jnâna) [même], car dans l’intériorité (antaram) du connaître (jnâtum) quelle connaissance (jnâna) y a-t-il encore [à rechercher]
? »
Cette strophe fait écho à la strophe 5 de l’âtma-bodha
de Shankara:
« Le jîva
est mêlé d’ignorance (ajnâna). Par
les efforts (abhyâsa) de compréhension
(jnâna), le jîva devient pure et la
connaissance (jnâna) disparaît [en
même temps que l’ignorance] comme la poudre de kataka (noix purifiante)
disparaît dans l’eau avec les impuretés ».
28- « Si la contemplation (darshana) du Soi (âtmâ),
qui est la réponse à cette question: « Quelle est notre vraie nature (sva-rûpa) ? », est atteinte; alors
[cela] est Béatitude (sukham), Infini
(âpûrna), Conscience (chit), Non-Né (abhava), Immuable (a-vyaya) ».
29- « L’être (jîva),
ayant atteint (VID) ici-même (iha) la Béatitude (sukham) suprême (param)
qui est au-delà (atîta) des liens (bandha) comme des affranchissements (mukti), est alors identifié aux états
supra-individuels (daivika, ce qui
est relatif aux devas) ».
Ce qui est relatif aux devas, c’est ce qui transcende l’état humain et qui correspond
ainsi aux aspects supra-individuels de l’être.
30- « Lorsque le « Je » (aham) disparaît (apeta) et qu’apparaît (vi-BHâ)
« Ce qui n’a jamais cessé d’être » (ni-ja), alors est accomplie la grande (mahâ) ascèse (tapas). Tel
est l’enseignement (vâch, parole) de
Ramana (ramana) ».
En conclusion, nous pouvons rapporter cette réponse
donnée à quelqu’un qui sollicitait un upadesha:
« L’upadesha
[l’instruction même] est contenu dans l’[ouvrage] Upadesha sâram ». [Talks,
p. 314]
La Guirlande
des Noms de Bhagavân
Cent-huit noms attribués à Râmana Maharshi sont
chantés chaque jour durant la cérémonie (pûjâ)
faite sur sa tombe (samâdhi,
« union »). Ils ont été composés par Shrî Vishvanathan. Ces 108 noms
apportent un éclairage particulier sur la « personnalité » du
Maharshi, sur le symbolisme de son existence terrestre ainsi que sur la
dévotion dont il est le centre.
1- mahâsena
mahâmshena jâtah, « Celui qui est né (jâta) de l’éclat (mahâ-amsha)
de Mahâsena ». Mahâsena, littéralement
« qui a une grande armée, grand général », est l’un des noms du plus
jeune fils de Shiva et de Pârvatî, aussi appelé Skanda.
2- shrî ramana,
« Celui qui se réjouit en son propre Soi ». La racine RAM signifie « réjouir,
satisfaire », ramana est
« ce qui réjouit », râma
signifie « charmant », Râma est le héros du râmâyana. Venkatarâman était le nom que portait le Maharshi dans
son enfance. Râmana, ou Ramana en est un diminutif
3- guruh,
« Celui qui révèle l’ultime Vérité ».
4- akhanda
samvidâkârah, «Celui qui est l’expression (âkâra) de la connaissance (sam-vid)
intégrale (akhanda) ».
5- mahaujah,
« Celui qui est d’une grande (mahâ)
force (ojas) ».
6- kâranodbhavah,
« Celui qui est né (udbhava)
pour un grande cause (kârana) ».
7- jagadditavatârah,
« Celui qui descend (avatâra)
parmi nous pour le bien du monde (jagat) ».
8- srî
bhûminâthasthalotthitah, « Celui qui est né (utthita) en ce lieu sacré (sthala)
où demeure Bhûminâtha ». Littéralement le protecteur (nâtha) de la terre (bhûmi),
Bhûminâtha est un des noms de Shiva donné à Tiruchuzhi, lieu de naissance du
Maharshi.
9- parâsharakulottamah,
« Celui qui est le plus éminent (uttama)
membre de la lignée (kula) de
Parâshara, (un des Rishis) » On
attribue à ce Rishi (Celui qui
« voit ») la composition des hymnes 65 à 73 du premier mandala du Rig-Veda, ainsi que l’Upapurâna
et le Parâsharadharmashâstra.
10- sundarâyatapah
phalam, « Celui qui est le fruit (phala)
de l’ascèse (tapas) de
Sundaram ». Sundaram Aiyar est le nom du père de Râmana.
11- kamanîya
sucharitrah, « Celui qui est d’une bonne (kamanîya) et heureuse conduite (sucharitra) »
12- sahâyâmbâ
sahâyavân, « Celui qui porte l’influence (sahâyavân) de la Mère (ambâ)
divine Sahâya ». Littéralement la compagne (sahâya), Sahâya est un des noms de la Shakti à Tiruchuzhi.
13- shonâchalamaholînamânasah,
« Celui dont le mental (manas)
disparaît (lîna) dans la lumière (ahar) d’Arunâchala, la colline (achala) rouge (shona) ».
14- svarnahastakah,
« Celui dont les mains (hasta)
portent des signes célestes (svar),
d’or (svarna) ».
15- shrîmad
dvâdashânta mahâsthale labdha vidyodayah,
« Celui qui est illuminé (udaya)
par la connaissance (vidyâ) en ce
haut (mahâ) lieu sacré (sthala) de Maduraï, le douzième (dvâdasha) Centre de la Shakti ». Son père étant décédé,
Râmana vécut alors à Maduraï chez son oncle paternel. C’est dans la demeure de
ce dernier qu’il connut l’illumination, ce « passage à la limite »
dont nous avons donné précédemment le récit.
16- mahâshaktinipâtena
prabuddhah, « Celui qui reçoit l’éveil (prabuddha) par la descente (nipâta)
de la suprême (mahâ) Shakti ».
17- paramârthavit,
« Celui qui connaît (vid), le
but (artha) suprême (parama) ».
18- tîvrah,
« Celui qui est ardent (tîvra) ».
19- pitrupâdânveshi,
« Celui qui est en quête (upâdâ)
de son Père (pitri)». Allusion au
voyage du Maharshi pour rejoindre Arunâchala qui est le symbole de Shiva, le
Père spirituel de Râmana.
20- indumaulîna
pitrumân, « Celui dont le Père
(pitri) à la tête couronné (maulin) d’un croissant de lune (indu) ». C’est-à-dire Shiva.
21- piturâdeshatah
shona shailam prâptah, « Celui qui atteignit (prâpta) Arunâchala, la colline (shaila)
rouge (shona), à la demande (âdesha) de son Père (pitri): Shiva ».
22- tapomayah,
« Celui qui est constitué (maya)
d’ascèse (tapas) », symbole de
l’ascèse et de ce qui en résulte.
23- udâsînah,
« Celui qui est indifférent (udâsîna),
détaché de tout ».
24- mahâ yogî,
« Celui qui est un grand (mahâ)
Yogî ».
25- mahotsâhah,
« Celui qui est d’une grande (mahâ)
force (utsâha), d’un grand enthousiasme ».
26- kushâgradhîh,
« Celui qui a une pensée (dhî)
aiguisée (agra) comme le tranchant
d’un brin d’herbe Kusha ».
27- shânta
samkalpa samrambhah, « Celui pour qui le flot des pensées (samkalpa) est contrôlé (samrambha) et apaisé (shânta) ».
28- shunsamdrik,
« Celui dont la vision (samdrish)
est lumineuse ».
29- savitâ,
« Celui qui est comme Savitri, le Soleil de la connaissance ».
30- sthirah,
« Celui qui est fermement (sthira)
établi dans le Soi ».
31- tapah kshapita sarvângah, « Celui dont tout
(sarva) la corps (anga) a été décharné (kshapita) par l’ascèse (tapas) ». Indifférent au monde
extérieur et à son propre corps, Le Maharshi connut de grandes austérités.
32- phullâmbuja
vilochanah, « Celui dont le regard (vilochana) est épanoui (phulla)
comme un lotus (ambu-ja,
littéralement « né de l’eau ») ».
33- chandrikâshîta
hâsa shrî manditâna mandalah,
« Celui dont le visage porte un sourire (hâsa) comme un disque (mandala)
orné (mandita) d’un beau clair de
lune (chandrikâ-shîta) ».
34- chûtavâtyâm
samâsîna, « Celui qui demeure en paix (samâsîna) sous l’agitation (vâtyâ)
des branches d’un manguier (chûta) ».
35- chûrnitâkhila,
vibhramah, « Celui qui a réduit en cendres (chûrnita) toute folle agitation (vibhrama) ».
36- veda vedânta
tattvajna, « Celui qui connaît (jna)
toute la vérité (tattva) du Veda et
du Vedânta ». Le Vedânta n’étant que l’aboutissement , la fin (anta) du Veda
37- chinmudri,
« Celui dont la pose de la main (mudra)
signifie l’illumination (chit) ».
Le Chit-mudra consiste à tenir uni le pouce avec l’index. Ce mudra est notamment propre à celui qui
enseigne par le Silence (mauna-vyâkhyâ)
comme pouvait le faire le Maharshi lui-même successeur, en ce sens, de
Dakshinâmûrti
38- trigunâtigah,
« Celui qui dépasse (ati-ga) la
distinction des trois (tri) Qualités
(guna) ». Les trois guna sont sattva, rajas et tamas.
39- virûpâksha
guhâvâsah, « Celui qui élu domicile (vâsa) dans la grotte (guhâ)
de Virûpâksha ». La racine GUH
signifie cacher. Premier lieu de résidence du Maharshi sur la colline
d’Arunâchala, cette grotte est situé sur le versant sud-est. Virûpâksha était
le nom d’un sage qui l’habita vraisemblablement au XIIIè siècle.
40- virâjadachalâkritih,
« Celui dont la forme (âkriti)
resplendit de paix ». Immobile (achala),
établi dans la paix, comme une colline (achala).
41- uddîptanayanah,
« Celui dont le regard (nayana,
oeil) est enflammé (uddîpta) ».
42- pûrnah,
« Celui qui est l’accomplissement (pûrna)
même ».
43- rachitâchala
tândavah, « Celui dont la danse (tandava)
est l’image (rachita) de l’immobilité
(achala) ». Ceci fait référence
à l’aspect polaire de Shiva Natarâja, principe immobile de la danse cosmique,
le « Moteur immobile ».
44- gambhîrah,
« Celui qui est insondable (gambhîra,
profond) ».
45- paramâchâryah,
« Celui qui est le maître (âchârya)
suprême (parama) ».
46- suprasannah,
« Celui qui est serein (su-prasanna, limpide) ».
47- abhayapradah,
« Celui qui offre (pra-da) la
paix (abhaya) ».
48- dakshinâsyanibhah,
« Celui qui ressemble (nibha) à
Dakshinâmûrti ».
49- dhîrah,
« Celui qui est un sage (dhîra,
stable) ».
50- dakshinâbhimukhah,
« Celui qui fait face (abhi-mukha)
au Sud (dakshinâ) ». Il occupe
ainsi une position proprement polaire. Situé au pôle spirituel, symbole de
Dakshinâmûrti, le Maharshi fait ainsi toujours face au Sud.
51- svarât,
« Celui qui brille (SVAR) ou qui
vibre (SVAR, résonner) ». Il est
ainsi la source même du son (svara)
support de toute révélation.
52- maharshih,
« Celui qui est un grand (mahâ)
voyant (rishi) ».
53- bhagavân,
« Celui qui est bienheureux (bhagavân,
le seigneur) ».
54- îdyah,
« Celui que l’on invoque (îD) ».
55- bhûmavidyâ
vishâradah, « Celui qui est versé (vishârada)
dans la connaissance (vidyâ) de la
possibilité universelle (bhûma) ».
56- vimala,
« Celui qui est immaculé (vimala,
pur) ».
57- dîrgha
darshî, « Celui qui est un voyant (darshî)
pénétrant (dîrgha, étendu) ».
58- âptah,
« Celui qui est un ami fidèle (âpta) ».
59- rijumârga
pradarshakah, « Celui qui est le maître (pra-darshaka) de la voie (mârga)
directe (riju, droite) ».
60- samadrik,
« Celui qui voit (drish) tout
comme identique (sama, égal) ».
Pour lui il n’y a rien d’autre que le Soi.
61- satyadrik,
« Celui qui voit (drish) la
vérité (satya) ».
62- satyah,
« Celui qui est la vérité (satya)
même ».
63- prashântah,
« Celui qui est établi dans la paix (pra-SHAM) ».
Il est le symbole même de la paix (shânti).
64- amita
vikramah, « Celui qui est d’une vaillance (vikrama) illimitée (amita) ».
65- sukumârah,
« Celui qui a la délicatesse (su-kumâra), la beauté ». On pourrait
aussi dire l’éternelle jeunesse, kumâra
c’est le « jeune homme ».
66- sadânandah,
« Celui dont l’être (sat) est
béatitude (ânanda) ».
67- mridu bhâshî,
« Celui qui est interlocuteur (bhâshî,
commentateur) attentif (mridu, tendre) ».
A l’image de Shankara qui élabora de subtils commentaires (bhâshya) des textes sacrés.
68- dayârnavah,
« Celui qui est un océan (arnava)
de compassion (dayâ) ».
69- srî
shonâchala hridbhûta skandâshrama nikhetanah,
« Celui qui demeura dans la grotte (ni-kheta)
de Skandâshram (skanda-âshrama), le
propre coeur (hrid) d’Arunâchala (shona-achala) ». Quittant la grotte
de Virûpaksha, le Maharshi occupa ensuite la grotte de Skandâshram située un
peu plus haut sur la colline
70- saddarshanopadeshtâ,
« Celui qui est un maître (upadeshtri)
dans la contemplation (darshana) de
l’Etre (sat) ».
71- sadbhakta
vrinda parivrittah, « Celui qui est entouré (parivritta) par une foule (vrinda)
de dévots (sad-bhakta)
sincères ».
72- ganesha munibhringena sevitânghri saroruhah, « Celui [dont les pieds]
comme des racines (anghri) de lotus (saro-ruha) ont été recherché par
Ganapati Muni ». Ganapati est un
des noms de Ganesha. Proche de
Râmana, Ganapati Muni est l’auteur de l’ouvrage intitulé Râmana-Gîtâ.
73- gîtopadesha
sârâdi grantha samchinna samshayah,
« Celui qui dissipe (sam-CHID)
les doutes (samshaya) par son
enseignement (grantha, oeuvre) comme
(âdi) « l’essence (sâra) de l’enseignement (upadesha) de la Bhagavat-Gîtâ (gîtâ) ».
74- varnâshrama
matâtîtah, « Celui qui transcende (atîta)
les distinctions (mata) comme la
caste (varna) ou le stade propre de
la vie (âshrama)». Les castes comme
les âshramas sont au nombre de quatre.
75- rasajnah,
« Celui qui connaît (jna)
l’essence (rasa, la saveur) des
choses ».
76- saumyah,
« Celui qui est bienveillant (saumya,
relatif au soma, au breuvage d’immortalité) ».
77- âtmavân,
« Celui qui a réalisé le Soi (âtmâ),
maître de soi (âtmavân) ».
78- sarvâvanimatasthânârâdhyah,
« Celui qui a gagné la confiance (ârâdhya)
de ceux qui rattachés à des formes traditionnelles différentes (mata) résident (sthâna) dans le monde (avani)
entier (sarva) ».
79- sarvasadgunî,
« Celui qui possède (sat) toutes
(sarva) les qualités (guna) ».
80- âtmâramah,
« Celui qui se complaît (â-RAM)
dans le Soi (âtmâ) ».
81- mahâbhâgah,
« Celui qui a le plus grand (mahâ)
rôle (bhâga, part) ».
82- mâtur mukti
vidhâyakah, « Celui qui a procuré (vi-DHâ)
la délivrance (mukti) à sa mère (mâtri) ». Ceci fait allusion au
rôle primordial tenu par le Maharshi lors du décès de sa mère.
83- vinatah,
« Celui qui est humble (vi-NAM) ».
84- vinutah
« Celui qui est honoré de tous (vi-NU) ».
85- viprah,
« Celui qui est un Brâhmane (vipra,
représentant du sacerdoce) par excellence ». Il est effectivement ce que
le mot brâhmane signifie « celui qui est identifié en Brahma ».
86- munîndrah,
« Celui qui est le Seigneur (indra)
des réalisés (muni) ». L’état de
Muni étant le plus haut degré spirituel , comme Indra est le plus haut aspect
divin.
87- pâvakojjvalah,
« Celui qui resplendit (ujjvala)
comme le feu (pâvaka) ». Pâvaka
est aussi un nom de Skanda.
88- darshanâdaghasamhârî,
« Celui qui lorsqu’on le contemple (darshana)
est le destructeur (samhârî) de
l’erreur (agha, impureté) ».
89- maunena
svâtmabodhakah, « Celui qui révèle (bodhaka) le Soi (âtmâ)
véritable (sva) par son silence (mauna) ». Littéralement mauna signifie « ce qui est propre
au Muni ». Et n’est-ce pas le Silence spirituel qui est le symbole même de
la Réalisation ?
90- hrichchhântikara
sâmnidhyah, « Celui qui par sa présence (sâmnidhya) apporte (kara)
la paix (shânti) dans le Coeur (hrid) ».
91- smaranâd
bandha mochakah, « Celui qui lorsque l’on pense à lui (smarana, fait de se remémorer) libère (mochaka) de tous les liens (bandha) ».
92- antatimira
chandâmshuh, « Celui qui sans pitié (chanda-amshu) met fin (anta)
à l’obscurité (timira) des
choses ».
93- samsârârnava
târakah, « Celui qui fait traverser (târaka) l’océan (arnava)
de la transmigration (samsâra) ».
94- shonadesha
stuti drashta, « Celui qui a composé (drashta, avoir la vision) des hymnes (stuti) à Arunâchala (shona-desha,
rouge-lieu) ».
95- hârda vidyâ
prakâshakah, « Celui qui nous révèle (prakâshaka) la connaissance (vidyâ)
propre au Coeur (hârda) ».
96- aviyukta
nija prajnah, « Celui qui est un sage (prajna) jamais séparé (aviyukta)
de la connaissance absolue (nija, ce
qui est inné) ».
97- naisargika
mahâ tapah, « Celui qui est spontanément (naisargika, inné) immergé dans l’ascèse (tapas) absolue (mahâ) ».
98- kamandalu
dharah, « Celui qui porte (dhara)
la cruche des ascètes, le kamandalu ».
99- shubhra
kaupîna vasanah, « Celui qui n’a pour vêtement (vasana) qu’un kaupîna, un
tissu blanc (shubhra) pour ceindre
les reins ».
100- guhah,
« Celui qui demeure dans la Caverne du Coeur ». Guha est un des noms
de Skanda. La racine GUH signifie
cacher et le terme guhâ désigne la
caverne.
101- dandapânih,
« Celui qui tient dans la main (pâni)
un bâton (danda) ». Ce bâton est
un symbole de l’axe du Monde, celui qui le tient est symboliquement (et
effectivement dans le cas du Maharshi) rétabli au centre du Monde, au Pôle
spirituel.
102- kripâpûrnah,
« Celui qui est d’une suprême (pûrna)
compassion (kripâ) ».
103- bhavaroga
bhishagvarah, « Celui qui est le meilleur (vara) médecin (bhishak)
de la maladie (roga) essentielle (bhava) », celle de l’ignorance.
104- skandah,
« Celui qui est la manifestation de Shiva », le fruit de Shiva.
105- devâtmâ,
« Celui qui est de nature divine », la lumière (deva) du Soi (âtmâ).
106- amartyah,
« Celui qui est immortel (a-martya) ». Il a consommé le
breuvage d’immortalité (amrita).
107- senânih,
« Celui qui est le maître des armées, Skanda ».
108- purushottamah,
« Celui qui est le suprême (uttama)
Purusha », le Seigneur
impérissable, paramâtmâ.
Sad-vidyâ
En conclusion, nous donnons la traduction de l’unique
strophe (8) composé en sanscrit par le Maharshi qui figure avec 39 autres
strophes dans la deuxième partie de l’ouvrage intitulé en tamoul Ulladu nârpadu et en sanscrit Sad-vidyâ, « La connaissance (vidyâ) de l’Etre (sat) ». Voici cette strophe et sa traduction:
hridayakuharamadhye
kevalam brahmamâtram
hyahamaham
iti sâkshâdâtmarûpena bhâti
hridi visha
manasâ svam chinvatâ majjatâ vâ
pavanachalanarodhâd
âtmanishtho bhava tvam
« Au centre (madhya)
de la caverne (kuhara) du Cœur (hridaya), l’Unique (kevala), l’Infini (mâtra)
Brahma , dont on dit (iti) en effet (hi) qu’Il est « Je-Je » (aham-aham), brille (Bhâ) directement (sâkshât,
abrupte) comme étant de la nature (rûpa)
du Soi (âtmâ). Entre (VISH) toi-même (sva) dans le Cœur (hrid)
au moyen du questionnement (ChI)
mental (manas) [« Qui suis-Je
? »] ou (vâ) par la destruction
(MAJJ) [du mental] dans la rétention
(rodha) [contrôlée] du souffle (pavana-chalana) et immerge (nishtha BHû)-toi (tvam) dans le Soi (âtmâ) ».
« Le terme Cœur est utilisé dans les Vedas et les textes pour désigner le
lieu d’où jaillit le concept « Je ». S’élève-t-il seulement de cette
masse de chair ? Il jaillit en nous de quelque part, juste au milieu de notre
être. Le « Je » n’est pas localisable. Tout est le Soi. Rien d’autre
n’existe. Par conséquent, on peut dire que le Cœur est l’ensemble de tout notre
corps et de l’univers entier, le tout conçu comme « Je ». Mais pour
aider celui qui cherche (abhyâsi), il
faut lui indiquer un endroit précis de l’univers ou de son corps. Aussi dit-on
que c’est le Cœur qui est le siège du Soi. Mais en vérité nous sommes partout,
nous sommes tout ce qui est et il n’y a rien d’autre ». [Talks, p. 34.]
« Le (Cœur), c’est le centre du Soi. Le Soi est
le centre des centres ». [Talks,
p. 46.]
« Le Cœur n’est pas physique, il est spirituel. Hridayam (hrid + ayam) veut dire:
« Ceci est le centre ». C’est de là que jaillissent les pensées,
c’est là qu’elles vivent et se résorbent. Les pensées sont le contenu du mental
et elles façonnent l’univers. Le Cœur est le centre de tout (...) Brahma est le Cœur ». [Talks, pp. 92 et 93.]
« Le Soi, c’est le Cœur. Le Cœur est lumineux par
lui-même. La lumière part du Cœur puis atteint le cerveau, qui est le siège du
mental. Le monde est perçu par le mental grâce à la lumière réfléchie du Soi.
Quand le mental est éclairé, il prend conscience du monde. Quand il n’est pas
éclairé, il n’a pas conscience du monde. Si le mental est orienté vers la
source de lumière, la connaissance objective s’abolit et le Soi seul resplendit
comme le Cœur. La lune luit grâce à la lumière réfléchie du soleil. Lorsque le
soleil se couche, la lune devient utile pour révéler l’existence des objets.
Lorsque le soleil se lève, personne n’a plus besoin de la lune bien que son
disque pâle reste encore visible dans le ciel. Il en est de même pour le mental
et le Cœur. Le mental est utile en raison de la lumière réfléchie qui sert à la
vision des objets. Lorsque le mental est tourné vers l’intérieur, la source de
son illumination resplendit d’elle-même et le mental devient pâle et inutile
comme la lune en plein jour ». [Talks,
p. 94.]
« Vous êtes toujours dans le Cœur ». [Talks, p. 98.]
« Il faut rechercher le Soi et le réaliser. Le Cœur
jouera alors son rôle automatiquement. Le siège de la réalisation, c’est le Cœur.
On ne peut dire s’Il est intérieur ou extérieur ». [Talks, p. 119.]
« Le Cœur est le centre d’où tout jaillit. C’est
parce que vous voyez le monde, votre corps, etc., qu’on dit qu’ils ont un
centre que l’on dénomme le Cœur. Quand vous êtes dans le Cœur, vous comprenez
que ce Cœur n’est ni le centre ni la circonférence et qu’il n’y a rien d’autre.
Alors de quoi peut-il être le centre ? ». [Talks, p. 229.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.