dimanche 28 octobre 2018

RÂMANA MAHARSHI, L’Esprit du Silence

RÂMANA MAHARSHI, L’Esprit du Silence

Shiva Natarâja

Râmana Maharshi est né le jour où l’on honore Shiva sous son aspect de Natarâja. Ce terme désigne aussi bien le Seigneur de la Danse, le Maître des danseurs comme le Roi des acteurs (la racine RâJ signifiant « régner, gouverner, briller » et la racine NAT « danser, mimer, jouer un rôle »). Râmana est ainsi né durant la fête d’Arudra-darshana, en décembre 1879. Cette fête qui a généralement lieu lorsque la constellation d’Orion (arudra) se trouve en ascendance est celle de la « vision de Shiva » car l’on organise une procession de la représentation de Shiva sous son aspect de Natarâja pour que l’on puisse le contempler (darshana). Ce jour commémore la victoire de Shiva sur l’Asura Andhaka (le « Sombre », andha veut dire aveugle), c’est-à-dire la victoire de la « Lumière » sur « l’Obscurité » et donc de la Connaissance sur l’ignorance. Puis Shiva accomplit sa Danse cosmique. Cette Danse répond au cinq actions (pancha-krityâ) de Shiva: srishti, l’action de créer; sthiti, l’action de maintenir; samhâra, l’action de détruire, tirobhâva, l’action de faire disparaître et anugraha, l’action de libérer. Ces cinq fonctions sont en relation avec les cinq aspects divins respectivement: Brahmâ, Vishnu, Rudra, Maheshvara (mahâ-îshvara) et Sadâshiva (sadâ, éternel). Rappelons que ces cinq aspects divins sont en correspondance avec les cinq premiers chakras, respectivement mûlâdhâra, svâdhishthâna, manipûra, anâhata, vishuddha. Au chakra âjna correspond l’aspect Shambu et au « lotus à mille pétales », sahasrâra, l’aspect ultime Paramashiva.
Voyons comment on peut comprendre cette Danse en étudiant le symbolisme de sa représentation. En dansant, Shiva écrase sous son pied droit le nain Mûlayaka, symbole de la vaine opposition à la puissance de Shiva. Le pied gauche est levé en signe de libération. Le mouvement des pieds décrit la fonction suprême de Shiva celle de la transformation véritable, c’est-à-dire celle qui ne se limite pas à la forme mais nous fait aller au-delà même de la forme. Pour être libre, l’être doit se transformer.
Voyons maintenant ce que les mains nous enseignent. La main droite supérieure tient un damarû  (petit tambour à deux caisses de résonance), la main droite inférieure fait le geste (mudrâ) de « ne point craindre ». La main gauche supérieure tient une flamme, la main gauche inférieure est baissée en direction du nain Mûlayaka. Le damarû est, dans le rythme qu’il instaure (chaque caisse de résonance étant frappée tour à tour), le symbole de l’alternance de la création et de la destruction de la manifestation, résumant ainsi les cinq actions de Shiva. La crainte n’affecte que ce qui est conditionné, comme l’ego. Mais, Shiva peut nous libérer de la peur (signe de l’attachement à l’ego) puisqu’il nous éclaire avec la flamme de la connaissance qui dissipe toutes les menaces représentées par le nain Mûlayaka qui ne peut qu’être vaincu comme il nous l’indique.
Parmi les différents aspects de sa parure, nous signalerons que Shiva porte un pendant d’homme à l’oreille droite et un pendant de femme à l’oreille gauche, marquant ainsi son union avec la Shakti. Il danse sur un piédestal de lotus d’où jaillit une auréole frangée de flammes qui l’encercle. Dans sa dimension purement cosmique et selon le principe d’analogie, on peut voir cette auréole enveloppante comme le symbole de Prakriti. Shiva, représentant alors Purusha, danse ainsi en son sein pour faire passer l’univers potentiel de la puissance à l’acte.
Shiva Natarâja, dont la vision (darshana) libère de la transmigration (samsâra), préside ainsi à la naissance du Maharshi démontrant ainsi que cette dernière se révélera effectivement comme illusoire.
Cette « présence » de Shiva ne fait qu’annoncer la fonction de « présence » du Maharshi. Mais voyons ce que Râmana nous enseigne sur le lieu de sa naissance Tiruchuzi:
« Ce lieu a reçu plusieurs noms différents [dont celui d’Avarta-puri, puri signifiant la ville] (...) Il y a eu plusieurs déluges. le Dieu Shiva sauva cette ville de trois d’entre eux. Une fois, alors que toute la surface de la terre était immergée sous les eaux, Shiva planta sa lance en cet endroit. Les eaux qui auraient dû normalement envahir la contrée furent attirées dans le trou formé par celle-ci; Un immense tourbillon se forma. Voilà l’origine du nom [d’avarta qui signifie tourbillon]. A l’occasion d’un autre déluge, Shiva, pour sauver la ville, la maintint suspendue au bout de sa lance ». [Talks with Sri Ramana Maharshi, p. 613.]
Cette « présence » de Shiva  au lieu même de sa naissance place le Maharshi au Centre du Monde dont l’axe est symbolisé par la lance de Shiva.
On peut comprendre ainsi que bien que l’individualité de Râmana ait connu, « substantiellement », un certain devenir spatial, le Maharshi , « essentiellement », n’a cessé d’être immobile au Centre du Monde. Du lieu de sa naissance à la colline d’Arunâchala où il séjournera tout le restant de sa vie, il n’a cessé d’être établi en ce Pôle spirituel , moteur immobile de la manifestation.
La colline d’Arunâchala est l’un des plus anciens et des plus sacrés parmi tous les lieux saints de l’Inde, c’est un éminent symbole du Mont Mêru. Râmana Maharshi déclara qu’: « Arunâchala n’est pas extérieur, mais intérieur. Arunâchala, c’est le Soi ». [Talks, p. 228.]

Jîvan-mukta

Si le devenir spatial du Maharshi est relatif, son devenir temporel l’est tout autant. Si l’on peut dire que Râmana n’a cessé d’être établi au Centre du Monde, on peut également dire qu’il n’a cessé d’être libre. Etant en elle-même totalement inconditionnée, la Délivrance ne saurait être le fruit d’un quelconque devenir. On s’accorde à voir en Râmana Maharshi un Délivré-vivant (jîvan-mukta). Qu’est-ce alors qu’un Jîvan-mukta ?
La Réalisation, étant inconditionnée, peut être connue dans l’un quelconque des états de l’être. Ainsi, un être placé dans l’état humain, comme nous le sommes actuellement, peut être, s’il en a la qualification, effectivement délivré dans cet état même. On use alors symboliquement d’une des conditions de cet état, la vie (jîva, le vivant), pour désigner cette Délivrance: jîvan-mukta. Cette expression ne veut donc pas dire que cette délivrance est tributaire de l’aspect vital. Ce qualificatif est nécessaire à ceux qui ne peuvent, sans cela, désigner cet état inconditionné. On est aussi fautif de parler alors de « vivant » ou « d’état »,la Délivrance échappant nécessairement à tous les qualificatifs puisqu’elle les transcende.
La Délivrance ne dépendant d’aucune condition, on peut être tout naturellement amené à se poser cette question: Pourquoi ne sommes-nous pas tous des Jîvan-mukta ? En réalité nous le sommes tous virtuellement. Ainsi le Maharshi a déclaré, en parlant du jnânî, de celui qui a réalisé l’identification entre le connaissant et le connu par la connaissance elle-même:
« Le jnânî ne voit personne qui soit a-jnânî. De son point de vue, chacun est un jnânî. Dans l’état d’ignorance, on surimpose cette ignorance à ce qui est réellement l’état de jnânî ». [Talks, p. 480]
C’est donc une limitation, cet état d’ignorance, qui empêche de se connaître dans notre état de jnânî. Virtuellement des jnânî, nous nous identifions à des a-jnânî, signe même de cette virtualité. La Délivrance est ainsi indéfiniment proche comme on peut égrener les décimales du nombre Pi , mais elle ne saurait être le terme de quoique ce soit comme il ne suffit pas d’atteindre une nouvelle décimale pour connaître effectivement le nombre Pi. La Délivrance est toujours présente mais en même temps inaccessible si l’on ne peut opérer le « passage à la limite », comme le nombre Pi, toujours connu puisqu’il est la rapport de la circonférence au diamètre, se révèle dans l’intégration aboutie et qu’il se dérobe dans l’accumulation de ses décimales. Ce « passage à la limite » est la clé de la Réalisation, clé mystérieuse qui n’ouvre en réalité aucune porte puisque rien ne nous est inaccessible. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le récit de ce « passage à la limite » tel qu’il a été vécu par le Maharshi. Ce récit est à la fois limpide et inexplicable. Tous le monde pourrait le vivre, mais il symbolise pour lui seul la Délivrance:
« C’est environ six semaines avant mon départ définitif de Maduraï qu’intervint dans ma vie un grand changement. Il fut tout à fait soudain. J’étais seul dans une pièce au premier étage dans la maison de mon oncle. Je n’avais été que rarement malade, et ce jour-là ma santé était excellente; mais une soudaine et violente peur de la mort m’étreignit. Rien dans mon état ne la justifiait, et je n’essayai ni de la justifier ni d’en chercher la raison. Je me contentais de l’éprouver en me disant: « Je vais mourir », et je me demandai que faire. Il ne me vint pas à l’idée de consulter un médecin ou un proches ou mes amis; je sentis qu’il me fallait résoudre le problème moi-même, et à l’instant même.
« Le choc causé par la peur me poussa à l’intériorisation et je me dis mentalement à moi-même, sans formuler des paroles: « Maintenant que la mort est là, que signifie-t-elle ? Qu’est-ce que mourir ? C’est ce corps-là qui meurt ».Et aussitôt je dramatisais le fait de la mort. J’étais couché les membres allongés et raides comme dans l’état cadavérique, mimant les effets de la mort pour donner à mon enquête une réalité plus grande. Je retenais ma respiration, et serrais les lèvres pour qu’aucun son ne pût s’en échapper, m’empêchant de prononcer le mot « Je » ou tout autre mot. « Et bien ! », me disais-je, ce corps est mort. On l’emportera complètement rigide au lieu de crémation où il sera brûlé et réduit en cendres. Mais suis- « Je » ce corps ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité et j’entends même la voix du « Je » profondément en moi. Je suis donc l’Esprit qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l’Esprit, transcendant ce corps, ne peut être touché par la mort. Ce qui veut dire que Je suis l’Esprit immortel.
« Ces pensées n’étaient pas tristes et sombres. Elles jaillissaient en moi telle l’éclatante vérité que je percevais directement, pratiquement sans l’intervention du processus mental. Le « Je » était donc quelque chose de très réel, la seule chose réelle dans mon état présent, et toute l’activité consciente liée à mon corps était centrée sur ce « je ». Depuis cet instant et dorénavant le « Je » ou « Soi » concentra l’attention sur lui-même par l’effet d’une puissante fascination. La crainte de la mort s’était évanouie, et pour toujours. L’absorption dans le « Soi » se poursuivit sans interruption depuis cet instant. Les autres pensées pouvaient passer et disparaître comme diverses notes de musique, mais le « Je » demeurait comme la note fondamentale shruti sous-tend et se confond avec les autres notes. Que mon corps fut occupé à parler, à rire, ou à quoique ce soit d’autre, tout mon être n’en était pas moins centré sur le « Je ». Avant cette crise je n’avais aucune perception claire de mon « Soi », et je n’étais pas consciemment attiré vers lui. Je ne ressentais pour lui aucun intérêt direct ou perceptible, encore moins inclinais-je à demeurer constamment en lui ».

Arunâchala

Râmana Maharshi nous donne le sens du mot arunâchala [Talks, p. 180]:
« aruna = rouge, brillant comme le feu. Ce « feu » n’est pas le feu ordinaire, qui n’est que chaud. C’est jnânâgni (le « feu » de la Sagesse, [le feu, agni, de la Connaissance, jnâna]) qui n’est ni chaud ni froid. achala = colline. Arunâchala est donc la « colline de la Sagesse ».
Voyons maintenant comment l’origine de la colline nous est relatée:
« Une fois Vishnu et Brahmâ (aspect créateur de Dieu, îshvara) se disputèrent pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Leur querelle provoqua le chaos sur la terre, et les Devas, s’approchant de Shiva, le supplièrent de mettre un terme à cette querelle. Alors Shiva se manifesta sous la forme d’une colonne de feu, d’où s’éleva une voix disant que le plus grand serait celui qui découvrirait l’extrémité la plus haute ou la plus basse de la colonne de lumière. Vishnu prit la forme d’un sanglier et creusa profondément le sol, pour en trouver la base, tandis que Brahmâ prenait la forme d’un cygne et planait dans les airs, en quête du sommet. Vishnu échoua dans sa recherche de la base de la colonne, mais, commençant à discerner en lui-même la Lumière suprême qui réside dans le cœur de tous, il se perdit dans la méditation, oubliant son enveloppe charnelle et n’ayant même plus conscience de lui-même en tant que celui qui cherche. Brahmâ vit la fleur d’un arbre de montagne qui tombait à travers les airs et, pensant gagner par la tromperie, il revint avec cette fleur et prétendit qu’il l’avait cueillie au faîte de la colonne lumineuse. »
Vishnu et Brahmâ ont donc échoué. Mais l’histoire se poursuit: « la colonne de feu, ou le linga, était trop aveuglante, et Shiva se manifesta alors sous l’aspect de la colline »
La colline est ainsi le symbole du Centre du Monde comme de l’axe qui en émane formant la chaîne des mondes. La colline est ainsi le symbole du but à atteindre comme de la voie pour y parvenir. Parcourir cet axe depuis le point le plus bas (Vishnu) jusqu’au point le plus élevé (Brahmâ), c’est, en s’y identifiant (Shiva) atteindre Mahâ-îshvara et finalement le but suprême, le Soi, Para-Brahma.
Au plan microcosmique, cette colline symbolise l’enchaînement de tous les états de l’être. En faire l’ascension, c’est au plan symbolique atteindre à sa propre totalisation, c’est-à-dire à la réalisation de « l’Homme universel ».
En correspondance avec le symbolisme de la croix, on peut dire que s’approcher (axe horizontal) de la colline symbolique, c’est tendre vers l’individualité intégrale. L’atteindre, c’est effectuer la totalisation de l’état humain (centre). En faire l’ascension (axe vertical), c’est opérer la totalisation des états supra-individuels et par le « passage à la limite », c’est réaliser l’identité avec le Soi, l’identité en Brahma.
Râmana Maharshi a très tôt dans sa vie ressenti une véritable fascination pour ce lieu saint comme il nous l’explique dans l’une des strophes de l’un de ses hymnes à Arunâchala:
« Ecoute ! Il se tient Mont impassible. Son action est mystérieuse, elle dépasse l’entendement humain. Depuis l’âge de l’innocence avait brillé dans mon esprit l’idée qu’Arunâchala était quelque chose d’une grandeur insurpassable, mais même lorsque j’appris par un autre que c’était la même chose que Tiruvannamalai [la localité au pied de la colline], je ne me rendis pas compte de sa signification. Lorsqu’il m’attira à lui, apaisant mon âme, je m’en approchai et je le vis (se dresser) immuable ».
            Râmana Maharshi a ainsi composé cinq hymnes en hommage à Arunâchala. Un seul a été directement composé en sanscrit, les autres l’ont été en tamoul. Nous avons retenu cet hymne pour cette raison, Il est intitulé arunâchala-pancharatnam, « Cinq stances dédiés à Arunâchala », littéralement « Cinq (pancha) perles (ratna) pour Arunâchala ». Nous en donnons la première traduction française directement faite à partir du texte sanscrit.
            Cet hymne se présente sous une forme bien caractéristique. Le Maharshi est symboliquement placé en haut de la colline qui marque ainsi son état de jivan-mukta, de « Délivré vivant », de jnânî, « Celui qui est effectivement identifié dans le Principe Suprême », le nirguna Brahma, Brahma non qualifié. En toute légitimité, le Maharshi peut ainsi considérer de proche en proche et par voie descendante ce qui du Principe nous amène au domaine individuel. Il se place ainsi au point le plus élevé, puis il envisage les voies de réalisation de la plus abrupte à celle qui concerne tous les êtres. Il traite ainsi de la voie de la connaissance (jnâna-mârga), de la voie du yoga (yoga-mârga), puis de celle de la dévotion (bhakti-mârga) et enfin de la voie des actes (karma-mârga). Au terme de cet hymne, le lecteur a virtuellement conçu les différentes étapes de la Réalisation (moksha). Il est en adoration au pied de la colline. Il ne lui reste plus, pour peu qu’il en soit capable, qu’à entreprendre effectivement l‘ascension qui des actes (karma) et de la simple dévotion (bhakti) le mènera à l’union (yoga) pour atteindre à l’identification par la connaissance (jnâna) terme de la réalisation, au-delà même de ce point qui marque le sommet et symbolise ainsi le Principe Suprême.
Voici la traduction de cet hymne:
1- « ô océan (abdhi) de nectar (sudhâ) débordant d’une suprême (pûrna) compassion (karunâ), tu submerge (KAD/kab) la forme (rûpa) dense (ghana) de l’Univers (vishva) par l’enveloppement (âvali) de ton rayonnement (kirana); ô Arunâchala, toi qui es le Soi (âtmâ) suprême (parama), fais de toi le Soleil (aruna) qui épanouira (KAS) le lotus (kanja) du Coeur (chitta) ».
Râmana Maharshi rend compte dans cette strophe d’Arunâchala comme symbole de l’identification totale dans le Principe Suprême. Arunâchala est le Principe Suprême, le paramâtmâ. Représentant la Cause enveloppante de la Manifestation, du Monde, Arunâchala devient donc le Soleil, symbole de l’Etre, la détermination du Non-Etre, le Principe non qualifié (nirguna Brahma) se déterminant en Principe qualifié (saguna Brahma), Dieu (îshvara) qui ordonne le Monde. En lui s’épanouit alors le lotus du Coeur. On notera l’usage du terme chitta pour désigner ici le Coeur.
2- « ô Arunâchala, en toi toute chose (sarva) apparaît (bhûtvâ), se maintient (sthitvâ) puis se résorbe (pralîna); c’est une merveille (chitra) ! Tu es le Soi en lui-même (âtmatâ), le « Je » (aham) qui est dans le Coeur (hrid); ô cela, tu le danses (NRiT). On dit (VAD) de toi que ton nom (nâma) est le Coeur (hridaya) ».
Râmana s’appuie sur les trois racines BHû, STHâ, pra-Lî pour signifier l’écoulement de la manifestation: ex-istence (bhava), établissement (stha) et dissolution (pra-laya). On trouve ici une allusion nette aux « actions » de Shiva et notamment de Shiva Natarâja, le Seigneur de la Danse. Cette strophe est le symbole de la détermination de l’Etre, îshvara, en Shiva, celui qui fait battre le Coeur cosmique.
3- « Qui désire (anu-ISH) répondre a cette question: « D’où s’élève (â-Yâ) ce que l’on nomme « Je » (aham iti) ? », doit s’intérioriser (pra-VISH) avec une pensée (dhî) extrêmement pure (amala); alors il connaîtra (ava-GAM) sa propre (sva) forme (rûpa) et s’apaisera (SHAM) en toi, ô Arunâchala, comme la rivière (nadî) qui rejoint l’océan (abdhi) ».
La voie suprême, la voie de jnâna est bien l’objet de cette strophe. La connaissance, la compréhension véritable, la « pensée pure », nous donne la réponse à la question « Qui suis-Je ? (ko’ham) ». La tradition nous enseigne que cette réponse peut être ainsi formulée: « neti neti ». Râmana Maharshi a donné l’explication de ce mot:
« Actuellement, il y a en vous une fausse identification du Soi avec le corps, les sens, etc. Puis vous vous mettez à rejeter toutes ces distinctions. C’est cela neti [na-iti]. Vous ne pouvez procéder ainsi à cette élimination qu’en vous attachant à ce qui ne peut être écarté, c’est-à-dire iti seul ». [Talks, p. 335.]
Le mot sanscrit na est le signe de la négation (asmi = je suis, na-asmi = je ne suis pas). Si je veux rendre compte par écrit que je suis en train de dire: « je suis », je ferai usage en sanscrit du mot iti. Ainsi lorsque l’on lit l’expression asmi iti, on doit comprendre que l’auteur veut nous signifier qu’il est entrain d’affirmer: « je suis ». La formule neti signifie donc que l’on est entrain de dire « non ! » Ainsi le commentaire de Râmana nous permet de comprendre que ce qui importe le plus n’est pas ce sur quoi porte la négation. Ce qui importe le plus, c’est ce qui en résulte et qui est symbolisé par le mot iti. Ce terme, qui ne peut être nier puisqu’il ne signifie rien, qui n’a pas de détermination, est ainsi la marque présente du « passage à la limite » toujours possible. Voilà ce que cette formulation est censée nous apporter. L’image de la rivière rejoignant l’océan répond à cet extrait de la strophe 41 de l’âtma-bodha de Shankarâchârya:
« Il n’y a plus de distinction (bheda) entre le Connaissant (jnâtri), la Connaissance (jnâna) et le Connu (jneya) dans le suprême Soi (parâtmâ) ».
4- « Abandonnant (tyaktvâ) tout ce qui est du domaine (vishaya) extérieur (bâhya), le mental (manas) contrôlé (ruddha) par  la régulation (ruddha) du souffle (prâna), méditant (DHYâ) intérieurement (antar) en toi; le Yogî perçoit (PASH) ta splendeur (dîdhiti), ô Arunachala, et trouve en toi sa demeure (mahî) ».
Les principaux aspects techniques de la voie du yoga sont énoncées dans cette strophe: la concentration, le contrôle du mental par la régulation du souffle, la méditation. L’aboutissement ultime étant la réalisation de l’état de Yogî. On peut ici citer certains propos de Râmana Maharshi concernant cette voie:
« Le contrôle de la respiration a pour seul but d’aider à s’immerger profondément en Soi. On peut tout aussi bien le faire par le contrôle mental. Car, lorsque le mental est dompté, la respiration, elle aussi, se régularise automatiquement. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’essayer le contrôle respiratoire, il suffit de contrôler son mental. Le contrôle de la respiration est recommandé à ceux qui ne peuvent contrôler leur mental immédiatement » [Talks, p. 417.]
« La correspondance entre jnâna et prânâyâma (contrôle respiratoire) s’établit ainsi:
na-aham: Je ne suis pas cela (expiration),
koham: Qui suis-je ? (inspiration),
soham: Je suis Lui (rétention).
Ceci relève du vichâra et le vichâra permet d’obtenir le résultat recherché ».[Talks, p.133.]
« Les trois formules sont: na-aham [pas-Je]; koham (kah-aham) [Qui-Je]; soham (sah-aham) [Il-Je]. Rejeter tous les préfixes (na, kah, sah) et maintenez-vous dans le commun dénominateur, c’est aham, c’est le « Je », voilà l’essentiel ».[Talks, p. 418.]
5- « Celui qui se fixe (arpita) en toi par son mental (manas), qui voit (PASH) tout (sarva) continuellement (satatam) par toi comme ta propre forme (âkriti), qui n’adore (BHAJ) que toi avec joie (prîtyâ); celui-là règne (JI), ô Arunâchala, car il est immergé (magna) par toi dans la félicité (sukha) ».
Cette strophe concerne la voie de la dévotion (bhakti-mârga) et celle des actes (karma-mârga). La racine BHAJ dont dérive le terme bhakti (dévotion) a pour sens premier celui de « partager ». Le bhakta, l’adorateur, participe ainsi fondamentalement de l’harmonie universelle. Celui qui accomplit une action (karma) agit (KRi), même s’il n’en n’a pas conscience, au sein de cette harmonie. En ce sens, il y règne.
En dépassant l’aspect purement spatial de ce lieu saint, on doit comprendre que tendre vers Arunâchala, c’est tendre vers le Soi; s’y établir, c’est s’identifier au Soi et finalement glorifier Arunâchala comme le fit Le Maharshi dans ses hymnes, c’est glorifier le Soi.

Dakshinâmûrti

Si Arunâchala , le linga de Shiva, est le symbole paradoxale du non-espace, Dakshinâmûrti, Shiva en tant que point-origine, symbolise alors le non-temps. Etabli à Arunâchala, le Maharshi confirme son détachement complet vis-à-vis de cette condition que l’on nomme espace. Identifié à Dakshinâmûrti, il confirme de même son détachement complet vis-à-vis de la condition que l’on nomme temps. Car la Vérité est ni tributaire du temps ni du lieu, sa source est le Non-Etre qui est absolument inconditionné.
Le terme dakshinâmûrti signifie, si on le décompose en dakshinâ-mûrti, l’aspect (mûrti) qui fait face au Sud (dakshinâ). Celui qui fait face au Sud doit, pour remplir pleinement cette exigence, être placé au Nord sur l’axe des pôles, car c’est de ce point unique que l’on fait toujours face au Sud. Dakshinâmûrti est donc Shiva en tant que Pôle, ce point originel moteur immobile du manifesté. C’est d’ailleurs le sens de ce terme si on le décompose en dakshina-amûrti, il est le principe (dakshina) informel (a-mûrti, non-forme). Il est celui qui produit le manifesté sans être lui-même manifesté, celui qui engendre le mouvement et donc le temps sans être lui-même soumis au temps. En ce sens, on le représente sous les traits d’un jeune adolescent, montrant ainsi qu’il n’est pas soumis à cette condition temporelle. Cette dimension primordiale est encore soulignée d’une façon particulièrement nette par le mode de son enseignement le « silence », le plus éminent symbole du nirguna Brahma, du Non-Etre.
Ce mode d’enseignement était aussi celui du Maharshi. Voici ce qu’il nous dit:
« Le « silence » est la forme la plus puissante de travail [spirituel]. Quelle que soit l’étendue et la puissance des shâstras (des textes), ils échouent dans leurs efforts. Le guru est tranquille et la Paix prévaut en tout. Le « silence » du guru est plus puissant, plus vaste que tous les shâstras réunis (...) Tel est [l’enseignement du] véritable guru. Tel était [celui de] Dakshinâmûrti. Que faisait-il ? Il restait silencieux. Les disciples apparaissaient devant lui. Il gardait le « silence »; les doutes des disciples finissaient par se volatiliser, autrement dit, ils perdaient le sens de leur individualité ». [Talks, p. 370.]
« De même que le bananier est un arbre dont les racines produisent de nouvelles pousses, des rejets, avant qu’il ne donne ses fruits et meure, et que ces mêmes rejets, une fois transplantés, recommencent le même cycle, ainsi le Maître originel et primordial de toute antiquité, Dakshinâmûrti, celui qui a dissipé les doutes de ses disciples rishis par le « silence », a laissé après lui des rejets qui continuent à se multiplier. Le guru est un rejet de ce Dakshinâmûrti ».[Talks, p. 13.]
Ces propos sont d’autant plus significatif qu’à l’occasion de sa traduction de l’Hymne à Dakshinâmûrti composé par Shankarâchârya, Râmana Maharshi l’a fait précéder de cette invocation:
« Ce Shankara qui apparut en tant que Dakshinâmûrti pour apporter la paix aux grands Ascètes (Sanaka, Sanandana, Sanatkumâra, Sanatsujâta), qui révéla son état réel de Silence, et qui a exprimé la nature du Soi en cet hymne, est établi en moi ».
Cette invocation synthétise le temps et le transcende depuis l’origine en Dakshinâmûrti jusqu’à Râmana Maharshi par la médiation de Shankara.
Râmana a accordé une place prépondérante à l’oeuvre de Shankara. Il a ainsi traduit en tamoul le Viveka-chûdâ-mani ainsi que plusieurs hymnes comme l’Hymne à Dakshinâmûrti. On peut citer ici le commentaire de cet hymne donné par le Maharshi dans un entretien. Râmana nous rapporte la légende de Dakshinâmûrti:
« Brahmâ, le Créateur, enfanta de son esprit quatre fils, Sanaka, Sanandana, Sanatkumâra et Sanatsujâta. Ils demandèrent à leur créateur pourquoi ils avaient été mis au monde. Brahmâ leur répondit: « Je dois créer l’Univers, mais je souhaiterais plutôt me livrer à des austérités (tapas) afin de réaliser le Soi. Je vous ai donné l’existence pour que vous puissiez me relayer dans cette tâche créatrice de l’Univers. Vous y parviendrez en croissant et en multipliant. » Les quatre fils n’agréèrent pas cette idée. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient assumer une charge aussi écrasante. Or il est naturel pour tout un chacun de se mettre à la recherche de la source originelle. Aussi préférèrent-ils revenir à leur origine et être heureux. Ils désobéirent à Brahmâ et l’abandonnèrent à son sort. Ils se mirent en quête d’un guide pour réaliser le Soi. Ils étaient les mieux doués pour obtenir la réalisation. Ils estimèrent que leur direction spirituelle ne pouvait dès lors être confiée qu’au meilleur de tous les maîtres. Qui, si ce n’est Shiva, le yogirâja, [le Seigneur (râja) des yogîs] pouvait répondre à cette exigence ? Shiva [sous son aspect de dakshinâmûrti] leur apparut, assis au pied du banyan sacré. Etant un yogirâja pouvait-il faire autre chose que pratiquer le yoga ? Il était ainsi dans un profond samâdhi, dans « l’Immobilité » absolue. Le Silence régnait. Quand les quatre frères le virent ainsi, l’effet fut immédiat. Ils tombèrent en samâdhi et tous leurs doutes furent dissipés ». [Talks, p. 528.]
Poursuivant son commentaire Râmana nous explique pourquoi Shankara a composé cet hymne:
« Le silence est le véritable et parfait upadesha (instruction spirituelle). Il ne convient qu’aux seuls chercheurs très avancés. Les autres sont incapables d’en tirer une puissante inspiration. C’est pourquoi ils ont besoin de mots qui leur expliquent la Vérité. Mais Celle-ci est au-delà des mots. Elle ne se contente d’aucune explication. Tout ce que l’on peut faire, c’est d’en indiquer la direction. Comment faut-il s’y prendre ? Les gens sont sous l’emprise d’une illusion. Si ce maléfice est détruit, ils réaliseront la Vérité. Il faut donc les convaincre de l’erreur de cette illusion. C’est alors qu’ils essayeront d’échapper à ses pièges. Et le vairâgya (le renoncement) en résultera. Ils se mettront en quête de la Vérité, à la recherche du Soi. Ils finiront par le réaliser, pour demeurer dans le Soi. Shrî Shankara, qui était un avatâra de Shiva, était plein de compassion pour les êtres déchus. Son désir était que tous puissent réaliser leur Soi bienheureux. Comme il ne pouvait pas les toucher tous par son « silence », il composa son éloge (stotra) à la gloire de Dakshinâmûrti sous la forme d’un hymne afin que les gens puissent le lire et entendre la Vérité  (...) Les quatre premières stances ont trait au monde. Elles montrent que le monde est identique au Maître dont le Soi est aussi celui du chercheur spirituel [voie de jnâna], ou bien que le monde est le Maître auquel le disciple se soumet complètement [voie de bhakti]. Les quatre stances suivantes ont trait à l’individu en montrant que son Soi est le Soi du Maître . La neuvième stance concerne îshvara et la dixième la Réalisation (siddhi). Tel est en bref le thème de l’hymne». [Talks, p. 529.]
Voici cet hymne traduit à partir de l’original sanscrit composé par Shankara:
Introduction-« Celui qui enseigne (vyâkhyâ) par le Silence (mauna) la vérité (tattva) réalisée (prakatita) du Suprême (para) Brahma, qui est un adolescent (yuvân), qui est le prince (indra) des précepteurs (âchârya), entouré (âvrita) d’un groupe de disciples (gana), de très vieux (varshishtha) sages (rishi) absorbés (nishtha) fermement en Brahma, celui dont l’attitude de la main signifie l’Illumination (chit-mudra), celui qui est la représentation (mûrti) de la béatitude (ânanda), qui se complaît (ârâma) dans le Soi (sva-âtmâ), qui a un doux (mudita) visage (vadana)- C’est [lui], « l’Aspect [de Shiva] qui fait face au Sud » (dakshinâ-mûrti), que nous adorons ».
Le terme mauna que l’on traduit par « silence » désigne littéralement « l’état de Muni ». Le Muni est celui qui a atteint le plus haut état spirituel. Identifié dans le Non-Etre, il est le symbole même du non-manifesté dont le silence est le suprême emblème. Mauna est ainsi le symbole du nirguna Brahma , comme il est le signe de « l’action de présence » de Râmana. Voici d’ailleurs certains de ses propos touchant cette question:
« Mauna (le Silence) n’est pas autre chose que la « parole » incessante, comme le Non-agir est « l’acte » incessant ». [Talks, p. 67.]
« Qu’est-ce que le Silence sinon l’éternelle éloquence ». [Talks, p. 141.]
« Mauna (le Silence) est la dîkshâ [la transmission d’une influence spirituelle] la meilleure et la plus puissante. C’était celle que donnait Dakshinâmûrti. Celles par le regard, par le toucher, etc. lui sont toutes inférieures. Le Silence (mauna-dîkshâ) change le coeur de tout homme ». [Talks, p. 402.]
1- « A lui qui, par Mâyâ, comme en rêve (nidrâ, sommeil), voit (pashya) en son for intérieur (ni-ja-antar-gata) l’univers (vishva) qui est en lui (âtmâ), comme une cité (nagarî) apparaissant (DRiSH) dans un miroir (darpana), [mais] qui est manifesté (ud-BHû) comme extérieur (bahih): à lui qui perçoit (sâkshât-KRI), à l’instant (samaya) de l’éveil (prabodha), son propre (sva) Soi (âtmâ) comme non-duel (a-dvaya): à lui qui est la forme (mûrti) même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
« Qui est victime de l’illusion ? Il faut bien que quelqu’un soit abusé. L’illusion, c’est l’ignorance. Selon vous, c’est le Soi ignorant qui voit les objets. Quand les objets eux-mêmes ne sont pas présents, comment Mâyâ peut-elle exister ? Mâyâ est yâ mâ (Mâyâ est ce qui [] n’est pas []). Ce qui reste est le Soi véritable. Si vous dites que vous voyez les objets ou que vous ne connaissez pas l’Unité réelle, vous devez en conclure qu’il y a deux soi: le connaisseur et l’objet connu. Or, personne n’admet qu’il existe en lui-même deux soi. L’homme réveillé dit que c’était lui qui était endormi bien qu’alors inconscient. Il n’y a qu’un Soi. Ce Soi est toujours conscient. Il ne change pas. Il n’existe rien d’autre que le Soi ». [Talks, p. 126.]
On notera la référence du Maharshi au nirukta, à cette science qui se base principalement sur la valeur symbolique des éléments dont les mots sont composés.
2- « A lui qui, comme un magicien (mâyâvî, le fils de Mâyâ) ou même comme un grand (mahâ) Yogî, déploie (vi-JRiMBH), par son propre (sva) pouvoir (ichchhayâ), cet univers (jagat) indifférencié (nir-vikalpa) à l’origine (prân) comme le bourgeon (ankura) à l’intérieur (antar) du germe (bîja), mais différencié (chitrî-krita) ensuite par les diverses (vaichitrya) conditions (kalanâ) d’espace (desha) et de temps (kâla) posées (kalpita) par Mâyâ: à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
3- « A lui dont la luminosité (sphurana) qui est être (sat) par nature (âtma-ka) éclaire (BHâS) le monde manifesté (kalpa-artha-ka) qui est comme le néant (a-sat): à lui qui enseigne (BUDH), par l’injonction (vachas) du Veda « tu es cela » (tat tvam asi), ceux qui le sollicitent (â-SHRI): à lui par qui, s’il est réalisé (karana BHû), il n’y aura plus d’autre (punar) chute (âvritti, retour) dans l’océan (ambhonidhi) de l’existence (bhava): à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
L’injonction citée dans cette strophe se rattache au Sâma-Veda et se trouve énoncée dans la Chândogya-upanishad (VI, 8, 7). Elle fait partie des mahâ-vâkya (les paroles essentielles). Chaque mahâvâkhya est rattaché à un Veda. Au Rig-Veda correspond l’injonction « La connaissance est Brahma » (pra-jnânam Brahma) énoncée dans l’Aitareya-upanishad (V, 3). Au Yajur-Veda correspond l’injonction « Je suis Brahma » (aham Brahma asmi) énoncée dans la Brihad-âranyaka-upanishad (I, 4, 10). Et à l’Atharva-Veda correspond l’injonction « le Soi est Brahma » (ayam âtmâ Brahma) énoncée dans la Mândûkya-upanishad (2).
4- « A lui qui est lumineux (bhâs-vara) comme l’éclat (prabhâ) d’une grande lampe (mahâ-dîpa) installée (sthita) au sein (udara, ventre) d’un vase (ghata) percé de nombreux trous (chidra): à lui dont la connaissance (jnâna) s’extériorise (bahih SPAND) par l’oeil (chakshus) et par les autres organes (karana): à lui qui rayonne (BHâ) en tant que « je sais » (JNâ) et l’univers (jagat) entier (samasta) brille par lui (anu-BHâ): à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
« C’est parce que vous avez l’habitude de vous identifier avec votre corps et de confondre votre vision avec vos yeux que vous dites ne rien voir. Qu’y a-t-il à voir ? Qui doit voir ? Comment voir ? Il n’y a qu’une seule conscience, manifestée en tant que pensée « Je », qui s’identifie avec votre corps, se projette à travers les yeux et contemple les objets. L’individu est limité dans l’état de veille et il s’attend à voir quelque chose de différent. L’évidence engendrée par ses sens sera pour lui le sceau de l’autorité. Ainsi, il n’admettra pas que le voyant, le vu et la vision sont tous des manifestations d’une même Conscience, Celle du « Je-Je » [aham-aham]  ». [Talks, p. 161.]
« Un jnânî ne trouve rien qui soit séparé ou différent du Soi. Tout est dans le Soi. Il est faux d’imaginer qu’il y a le monde, qu’il s’y trouve un corps et qu’enfin vous demeurez dans ce corps. Lorsque la Vérité est réalisée, on découvre que l’univers et ce qui est au-delà ne sont que dans le Soi. L’aspect des choses varie selon la perspective. C’est de l’oeil que vient la vision. Et l’oeil doit être situé quelque part. Si vous voyez avec les yeux sensibles (du domaine grossier), tout vous apparaîtra comme grossier; si vous regardez avec les yeux subtils (ceux du mental), tout vous paraîtra subtil. Et si l’oeil devient le Soi, l’oeil sera infini, puisque le Soi est lui-même infini. Il n’y a rien d’autre à voir qui soit différent du Soi ». [Talks, p. 103.]
5- « Ceux qui connaissent (VID) le « Je » (aham) en tant que corps (deha), souffle (prâna), organes de sensation et d’action (indriya), intellect changeant (chala-buddhi) ou comme [étant] l’absence (shûnya, vide) sont abusés (BHRAM) comme les femmes (strî) et les enfants (bâla), les aveugles (andha) et les sots (jada, inerte), et ils parlent (vâdî) beaucoup: à lui qui est le destructeur (sam-hârî) de la grande illusion (mahâ-vyâmoha) produite (kalpita) par le jeu (vilâsa) de la puissance de Mâyâ (mâyâ-shakti): à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
6- « A l’esprit (pumân), qui dans le sommeil (sushupta) est pur être (sat-mâtra), les sens (karana) anéantis (upa-sam-HRi), et qui dans le retrait du voilement (samâchchhâdana) de Mâyâ, comme le soleil (divâkara) et la lune (indu) dans l’éclipse (râhu-grasta), reconnaît (praty-abhi-JNâ) au réveil (prabodha-samaya, condition d’éveil): « j’ai dormi (SVAP) jusqu’à maintenant (prâk) »: à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
7- « A lui qui, par l’attitude de la main signifiant la réalisation (bhadra-mudra), manifeste (prakatî KRi) à ses fidèles (bhajan) son propre (sva) Soi (âtmâ) qui brille (SPHUR) pour toujours (sadâ) intérieurement (antar) en tant que « Je » (aham), constamment (anu-vartamâna), dans tous (sarva) les états (avasthâ) inconstants (vyâvritti) tels que l’enfance (bâlya), etc., l’état de veille (jâgrat), etc.- à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
8- « A l’esprit (purusha) qui, abusé (pari-BHRAM) par Mâyâ, voit (PASH), en rêve (svapna) et à l’état de veille (jâgrat), l’univers (vishva) dans ses distinctions (bheda) telles que cause (kârana) et effet (kârya), propriété (sambandha) et propriétaire (svâmi), maître (âchârya) et disciple (shishya), fils (putra) et père (pitri), etc.: à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
9- « A lui dont l’octuple (ashtaka) forme (mûrti) est tout [cet univers] mouvant (chara) et immuable (a-chara), apparaissant (â-BHâ) en tant que terre (bhû), eau (ambhas), feu (anala), air (anila), éther (ambara), soleil (ahar-nâtha), lune (himâmshu) et esprit (pumân): à lui le suprême (para), le tout-pénétrant (vi-bhu), au-delà duquel rien d’autre n’est à connaître (VID) pour ceux qui sont en quête (vimrishan): à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
10- « Puisque, dans cet hymne (stava), l’état du Soi intégral (sarva-âtma-tva) a été ainsi expliqué (sphutî KRi); en l’écoutant (shravana), en réfléchissant (manana) à sa signification (artha, le but), en le méditant (dhyâna) et en le récitant (samkîrtana), [alors] s’accompliront (AS) le royaume (îshvaratva) et la suprême splendeur (mahâ-vibhûti) de cet état de Soi intégral (sva-âtma-tva); ainsi sera réalisé (SIDH), à nouveau (punar), le pouvoir prodigieux (îshvarya), sans obstacle (a-vyâhata), qui se présente (pari-NAM) sous huit formes (ashta-dhâ) ».
« L’ignorance (ajnâna) est de deux sortes: 1- l’oubli du Soi, 2- les entraves à la connaissance du Soi. Ce qui nous aide a pour but de supprimer les pensées. Ces pensées ne sont que des re-manifestations, des prédispositions demeurées à l’état de germes; elles donnent naissance à la diversité d’où proviennent tous les troubles. Ces aides sont: écouter l’enseignement de la Vérité (shravana), etc. [sous-entendus, manana et nidhidhyâsana] Les effets de shravana peuvent être immédiats et le disciple réalise alors la Vérité d’un seul coup. Ceci n’arrive qu’aux disciples déjà très avancés. Autrement, le disciple sent qu’il est incapable de réaliser la Vérité, même quand il l’a entendue constamment répéter. A quoi est-ce dû ? Les impuretés, qui polluent son mental: l’ignorance, le doute et la fausse identification, sont les obstacles à renverser:
a/ Pour dissiper complètement l’ignorance, le disciple doit entendre constamment la Vérité jusqu’à ce que la connaissance de celle-ci devienne parfaite.
b/ Pour dissiper ses doutes, il doit réfléchir sur ce qu’il a entendu. Finalement sa connaissance sera débarrassée de toute incertitude.
c/ Pour dissiper les fausses identifications du Soi avec le non-Soi (telles que le corps, les sens, le mental ou l’intellect), son mental doit être totalement concentré.
Lorsque ces degrés ont été atteints, les obstacles sont dépassés et le samâdhi se réalise, autrement dit, la Paix règne (...) Shravana dissipe l’illusion que le Soi se confond avec le corps, etc. La réflexion [manana] donne la certitude que la Connaissance est le Soi. La concentration [nidhidhyâsana] révèle le Soi comme étant Infinitude et Félicité ». [Talks, p. 204.]

Upadesha-sâram

Râmana Maharshi a composé en tamoul plusieurs traités doctrinaux aussi bien en prose qu’en vers. Parmi ceux-ci un seul a été traduit en sanscrit par le Maharshi lui-même. Il s’agit du traité intitulé Upadesha-undiyâr, en tamoul et en sanscrit Upadesha-sâram, « La quintessence (sâram) de l’enseignement (upadesha) ». Suivons maintenant ce texte dans une première traduction française faite directement à partir de la version sanscrite:
1- « Est-ce que l’action (karma) est identique au [Principe] Suprême (param) ? Non, l’action n’est pas un principe en elle-même, en ce sens elle est inerte (jada). Si l’action porte des fruits (phala), c’est uniquement à l’autorité (â-JNâ) du Principe de la manifestation (kartâ) qu’elle le doit ».
La Maharshi nous dit également:
« L’action (karma) porte ses fruits (phala). L’un et l’autre sont comme cause et l’effet. Cette relation d’une cause et de ses effets est due à la Shakti, que l’on nomme Dieu. Dieu est le Phaladâtâ ( le Dispensateur des fruits) ». [Talks, p. 248.]
Cette première strophe, ainsi que les suivantes font aussi écho à la troisième strophe de L’âtma-bodha de Shankara:
« N’étant pas opposé à l’ignorance (a-vidyâ), l’action (karma) ne la détruit pas; par contre, la connaissance (vidyâ) détruit l’ignorance (a-vidyâ) aussi sûrement que la lumière (tejas) dissipe les ténèbres (timira) ».
En réponse à une question concernant, dans cette strophe, le terme jada (inerte) qui se distingue résolument de la notion de conscience (chit), Râmana répondit:
« L’upadesha (l’instruction) se rend au niveau de celui qui l’écoute. Il n’y a pas de Vérité dans l’inerte (jada). Seule prévaut la Conscience (chit) qui est unique ». [Talks, p. 415.]
2- « Les fruits (phala) [de l’action] sont transitoires (ashâshvata); ils sont à l’origine (kârana) [,en l’attisant,] de cette chute (patana) dans le grand (mahâ) océan (udadhi) des actes (kriti) qui détourne (nirodhaka) de la voie (gati) [menant à la Réalisation] ».
« La difficulté actuelle est que l’homme s’imagine être l’auteur de ses actes. Mais, c’est une erreur. C’est le Puissance supérieure qui fait toute chose et l’homme n’est qu’un instrument. S’il accepte cette position, il se libère de tous ses troubles; sinon il les favorise. Prenez l’exemple d’une image sculptée sur un gopura [tour à l’entrée d’un temple], et qui donne l’impression de porter le poids de la tour sur ses épaules. Son attitude, son regard donnent le sentiment d’un effort considérable. Mais réfléchissez. La tour est bâtie sur la terre et elle repose sur ses propres fondations. Le personnage sculpté (tel Atlas portant la Terre) fait partie de la tour, mais il a été figuré de telle façon qu’il semble la soutenir; N’est-ce pas amusant ? il en va de même pour l’homme qui garde le sentiment d’être l’auteur de ses actes ». [Talks, p. 69.]
3- « Les actes (krita) accomplis avec détachement (na-icchayâ) et dédiés à l’Etre (îshvara, Dieu) purifient la pensée (chitta) et mènent à la Délivrance (mukti) ».
« Le Karma (l’acte) désintéressé purifie le mental et aide à le maintenir en méditation ». [Talks, p. 83.]
4- « L’hommage rituel (pûjana), la répétition de mots sacrés (japa), la réflexion méditative (chintana) répondent respectivement au corps (kâya), à la parole (vâch) et au mental (manas); et  dans cet ordre acquièrent une importance croissante (uttama) ».
Ecoutons le Maharshi:
« Le japa mental est excellent. Il favorise la méditation. Votre mental s’identifie à ce que vous répéter et vous comprenez alors en quoi consiste réellement le rite (pûjâ): La disparition de la notion d’individualité est le but du rite ». [Talks, p. 39.]
« La pûjâ journalière, telle qu’elle est prescrite dans les Dharma-Shâstras, est toujours une bonne chose. Elle produit en effet une purification du mental. Même si l’on se sent trop avancé spirituellement pour avoir recours à une telle pûjâ, elle doit être accomplie néanmoins pour assurer la purification des autres personnes de son entourage. Elle constitue un excellent exemple à donner à ses enfants et autres membres de sa famille ». [Talks, p. 522.]
« La prononciation, puis le souvenir et enfin la méditation sont les trois phases successives qui aboutissent finalement au japa involontaire et éternel. Le japa-kartri (celui qui fait le japa) qui pratique ce japa, c’est le Soi ». [Talks, p. 77.]
« Le japa est de deux sortes: grossier et subtil. La répétition subtile des mantras est une méditation sur les mantras. Elle contribue à donner de la force au mental ». [Talks, p. 194.]
« Vous répétez toujours le mantra automatiquement. Si vous n’êtes pas conscient de l’a-japa (le chant indicible, [le Silence]) qui s’accomplit éternellement il vous faut alors pratiquer le japa. Le japa nécessite un effort. Cet effort est nécessaire pour vous dégager de toutes les autres pensées. Le japa devient par la suite mental et intérieur. Finalement vous réaliserez l’éternel nature de cet ajapa. Vous découvrirez qu’il se déroule tout seul sans exiger de vous le moindre effort. L’état sans effort est l’état de réalisation ». [Talks, p. 272.]
5- « Honorer (yukta-sevana) le monde (jagat) comme une manifestation (dhî, pensée) de l’Etre (îsha, Dieu), c’est honorer (pûjana) le Divin (deva) qui use de ses huit formes (ashta-mûrti) pour se manifester (bhrit, BHRi) ».
Ces huit formes sont, comme nous l’avons vu dans l’Hymne à Dakshinâmûrti composé par Shankara: les cinq éléments, le Soleil, la Lune et l’esprit.
Au commencement de sa pièce intitulée abhijnâna-shâkuntala, Kâlidâsa fait adresser cette prière:
« Puisse le Seigneur Shiva vous protéger par les huit formes où il se révèle: l’eau, qui fut la première chose créée; le feu, qui porte l’offrande rituelle, le prêtre (hotri), qui officie; le soleil et la lune, les deux qui ponctuent le temps; l’éther qui , véhicule du son, occupe l’univers après l’avoir empli; la terre, qui porte les germes; l’air, le souffle de la vie. »
6- « Le chant de louange (stava) à voix basse (manda) est supérieur (uttama) à celui prononcé à voix haute (uchcha), mais bien supérieur (uttama) encore est la récitation des mots sacrés (japa) nés (ja) de la pensée (chitta) dans une [silencieuse] méditation (dhyâna) ».
Râmana nous explique ainsi:
« Le japa oral n’est qu’un ensemble de sons. Les sons émergent des pensées. On doit penser pour pouvoir exprimer les pensées en mots. Les pensées constituent le mental. Le japa mental est supérieur au japa oral (...) Quand le japa devient mental, pourquoi recourir à son expression orale ? Le japa, devenant mental, devient contemplation. Contemplation (dhyâna) et japa mental sont identiques. Quand les pensées cessent de s’entremêler et qu’une seule pensée demeure, à l’exclusion de toutes les autres, on considère qu’il s’agit alors de contemplation. L’objet du japa, ou de dhyâna, est d’exclure toutes les pensées sauf une et de se concentrer sur cette unique pensée. Jusqu’au moment où cette pensée finit elle-même par se noyer en sa propre source, la conscience absolue, c’est-à-dire le Soi. Le mental s’engage dans le japa et finit par se noyer dans sa propre source ». [Talks, p. 296.]
7- « Comme (sama) un flot (dhârâ) [continu]de beurre fondu (âjya) ou le courant [continu] d’un fleuve (srotas), la réflexion méditative (chintana) ininterrompue (sarala) est supérieure (param) à celle qui est entrecoupée (virala) ».
Râmana précisera:
« La méditation doit être continue comme un cours d’eau. Si elle est ininterrompue, on l’appelle samâdhi ou kundalinî shakti ». [Talks, p. 439.]
8- « La compréhension (bhâvanâ, conception) qui prend forme (bheda) lors de l’énoncé (iti): « Je suis Cela (so’ham, sah-aham) » est plus purifiante (pâvanî) si cette compréhension (bhâvanâ) aboutit (matâ) à une non-distinction (a-bhidâ) [entre « Je » et « Cela »] ».
Rappelons, à nouveau, ce que Râmana nous explique:
« Les trois formules sont: na-aham [pas-Je]; koham (kah-aham) [Qui-Je]; soham (sah-aham) [Il-Je]. Rejeter tous les préfixes (na, kah, sah) et maintenez-vous dans le commun dénominateur, c’est aham, c’est le « Je », voilà l’essentiel ». [Talks, p. 418.]
9- « Demeurer heureux (susthiti) en l’Etre (sat), vide (shûnya) [libre de toutes pensées], par la puissance (bala) de la compréhension (bhâvanâ); telle est la suprême (uttama) dévotion (bhakti) ».
Râmana précise:
« Les termes shûnya (le vide ou vacuité), ati-shûnya (l’au-delà du vide) et mahâ-shûnya (le vide immense) désignent la même chose, à savoir l’Etre réel seulement ». [Talks, p. 300.]
10- « Fixer (sthala) le mental (manas) dans le Coeur (hrid) est l’aboutissement (kriyâ) par excellence (svasthatâ), en toute certitude (nish-CHI), de la dévotion (bhakti), de l’union (yoga) et de la connaissance (bodha) ».
Râmana nous fait comprendre que les voies de bhakti, de yoga et de jnâna tendent vers le même but qui est l’identification dans le Coeur spirituel.
On demanda au Maharshi de désigner le meilleur des yogas (karma, jnâna, bhakti, hatha). Il répondit:
« Lisez le verset 10 de l’Upadesha sâram. Etre établi dans le Soi, équivaut à tous ces yogas dans leur sens le plus élevé. Dans le sommeil sans rêves, il n’y a plus ni monde, ni ego, ni souffrance. Seul le Soi subsiste. Dans l’état de veille, il y a le monde, l’ego et la souffrance; mais le Soi est aussi présent. Il suffit seulement de se débarrasser des états transitoires, pour réaliser la félicité toujours présente du Soi. Votre nature est Félicité. Découvrez cela sur quoi tout le reste s’est surimposé et vous resterez comme le pur Soi ». [Talks, p. 156.]
A un visiteur, ayant lu l’Upadesha sâram en sanscrit et ne parvenant pas à pacifier son mental, Râmana citera cette strophe 10 en concluant: « C’est toute la vérité en une seule phrase ». [Talks, p. 184.]
11- « Le mental (manas) peut être contenu (Lî, entraver) [et contrôlé] par la rétention (rodhana) [régulée] du souffle (vâyu), comme un oiseau (pakshi) peut être arrêté par un filet. Cette pratique (sâdhana) est le rodha-sâdhana ».
Cette pratique est celle de la rétention (rodha) du mental (manas).
« Le contrôle de la respiration agit comme une aide, mais ne peut jamais de lui-même vous conduire au but. Pendant que vous l’effectuez mécaniquement, gardez toujours le mental en alerte, souvenez-vous de la pensée-« Je » et recherchez-en la source. Vous vous apercevrez alors que là où la respiration s’évanouit, émerge la pensée-« Je ». Ils émergent et disparaissent ensemble. Lorsque la pensée-« Je » aura totalement disparu avec la respiration. Alors, simultanément, un lumineux et infini « Je-Je » se manifestera de façon continu et ininterrompu. Voilà le but ». [Talks, p. 313.]
Citons également cette réponse:
« Le mental est quelque chose de mystérieux. Il se compose de sattva, rajas et tamas. Les deux derniers donnent naissance à vikshepa [ce qui se manifeste]. Dans son aspect de sattva, le mental reste pur, non contaminé. Il ne donne asile à aucune pensée, il est identique au Soi. Le mental est comparable à l’âkâsha (l’éther). De même qu’il y a des objets dans l’âkâsha, il y a des pensées dans le mental. L’âkâsha est la contrepartie du mental et les objets sont la contrepartie des pensées. Il est inutile d’espérer mesurer l’univers et étudier les divers phénomènes. C’est impossible. Car les objets ne sont que des créations mentales. Vouloir les mesurer est comparable à la tentative de celui qui met le pied sur sa propre ombre pour la bloquer. Plus il avance, et plus l’ombre recule devant lui. il est donc impossible d’immobiliser son ombre en lui mettant le pied dessus (...) Quand un enfant voit son ombre et cherche à attraper l’ombre de sa tête. Plus il se penche et tend la main, plus l’ombre s’éloigne. L’enfant lutte de plus en plus. Sa mère prend pitié de ses efforts inutiles. Aussi prend-elle la main de son enfant, la lui met sur la tête en lui faisant observer à terre l’ombre de sa main tenant l’ombre de sa tête. Il en va de même pour l’ignorant qui cherche à étudier l’univers. L’univers est uniquement un objet crée par le mental et qui a son être dans le mental. Il ne peut être mesurer comme une entité extérieure. Pour atteindre l’univers, il faut au préalable atteindre le Soi. De nombreuses personnes me demandent comment contrôler leur mental. Je leur réponds: « Montrez-moi d’abord votre mental; vous saurez alors ce qu’il faut faire. » Le fait est que le mental n’est qu’un agglomérat de pensées. Comment voulez-vous le supprimer par la simple pensée ou par le désir de vouloir le faire ? Vos pensées et vos désirs sont des parties et des parcelles du mental Le mental s’accroît simplement par l’émergence de nouvelles pensées. Par conséquent, il est stupide de vouloir tuer le mental au moyen du mental. La seule manière de s’y prendre consiste à trouver sa source et à s’y agripper. Le mental disparaîtra alors de lui-même. Le yoga enseigne le chitta-vritti-nirodha (contrôle des activités du mental). Mais je vous indique l’âtma-vichâra (l’investigation du Soi). C’est la voie pratique. Chitta-vritti-nirodha se produit dans le sommeil, la syncope ou par inanition. Dès que la cause est supprimée, les pensées affluent de nouveau en grand nombre. A quoi sert-il donc [le contrôle mental] ? Dans cet état de torpeur, il y a la paix et pas de souffrance. Mais dès que l’engourdissement a passé, la souffrance revient. Par conséquent nirodha (le contrôle) est sans [réel] utilité et ne peut produire un bénéfice durable. Comment s’y prendre alors pour que le bénéfice soit durable ? Il suffit de trouver la cause de la souffrance. La souffrance est due aux objets. S’ils ne sont plus là, il n’y aura plus de pensées contingentes et la souffrance disparaîtra. « Comment faire pour que les objets cessent d’être ? » Telle doit être la question suivante. La shruti et les sages répètent que les objets ne sont que des créations mentales. Ils n’ont pas d’existence indépendante. Livrez-vous à une étude approfondie de la question et vous vous rendrez compte de la véracité de cet exposé. Le résultat auquel vous aboutirez sera que le monde objectif réside dans la conscience subjective. Par conséquent, le Soi est l’unique Réalité qui pénètre et aussi qui enveloppe la manifestation. Et comme il n’y a pas de dualité [dans le Soi], nulle pensée ne viendra troubler votre paix. Voilà ce qu’est la réalisation du Soi. Le Soi est éternel. Il en va de même de la Réalisation ». [Talks, pp. 462-464.]
12- « La pensée (chitta) et le souffle (vâyu), liés (yukta) à la conscience (chit) et à l’action (kriyâ) sont les deux rameaux (shakhâ) d’une racine (mûla) commune (dvayî), la « toute-puissance », la shakti ».
« Cette Paix est votre Réelle nature. Toutes les idées contraires sont des surimpositions. Elle est la vraie bhakti [dévotion], le vrai yoga et le vrai jnâna [connaissance]. Vous pouvez prétendre que cette paix est acquise par la pratique [d’une discipline spirituelle]. Les fausses notions sont éliminées par la pratique. Mais c’est tout ce que vous pouvez dire. Car votre vraie nature est éternellement présente (...) Le Coeur est le Soi. Il n’est ni intérieur ni extérieur. Le mental est Sa shakti. Dès que le mental émerge, l’univers fait son apparition et le corps semble y être inclus. Mais en vérité, tous ces aspects [mental, univers, corps] sont intégrés dans le Soi et n’ont pas d’existence autre que le Soi ». [Talks, p. 256.]
Ecoutons toujours le Maharshi qui nous parle de cette notion de shakti au travers de celles de mâyâ et de svatantra:
« Les Védântins disent que Mâyâ est la Shakti de l’illusion dont les prémisses se trouvent en Shiva. Mâyâ n’a pas d’existence indépendante. Ayant engendré l’illusion d’un monde en le présentant comme réel, elle continue à jouer sur l’ignorance de ses victimes. Quand la réalité de sa « non-existence » est découverte, elle disparaît. « Ceux qui la reconnaissent » [pratyabhijnâ, reconnaissance] disent que la Shakti (la puissance) et Shiva coexistent indissolublement. Ils ne peuvent exister l’un sans l’autre. Shiva demeure non manifesté tandis que Shakti se manifeste en vertu de son indépendante volonté (svatantra). La manifestation de Shakti est donc la projection du Cosmos sur la pure conscience, telles les images reflétées dans un miroir. Ces images ne peuvent subsister en l’absence du miroir. De même le monde n’a aucune réalité indépendante. Svatantra n’est finalement qu’un simple attribut du Suprême. Shrî Shankara affirme que l’Absolu est dépourvu d’attributs et que Mâyâ est ce « qui n’est pas », et n’a aucune existence réelle. Quelle différence existe-t-il entre les deux [points de vue: Svatantra et Mâyâ] ? Les deux sont d’accord pour conclure que la manifestation est irréelle. De même que les images d’un miroir ne peuvent en aucun cas être réelles, ainsi le monde n’existe pas en réalité ([vastu, réalité]; vastutah, en réalité). Les deux écoles enseignent donc la même choses. Leur but ultime est la Conscience Absolue. L’irréalité du cosmos est implicite dans [l’Ecole de] la Reconnaissance (pratyabhijnâ), alors qu’elle est explicite dans [l’Ecole du] Védânta. Si l’on considère le monde comme étant chit (la conscience), alors il est toujours réel. Le Védânta affirme que la diversité (nânâ-tva) n’existe pas, et que tout participe de la même Réalité. Tout le monde est donc d’accord sur le fond de la question, seuls les termes et modes d’expression diffèrent ». [Talks, p.247.]
13- « L’absorption (laya) et la destruction (nâsha) sont les deux moyens de rétention (rodhana), [de contrôler le mental]; quand il ,[le mental], est simplement absorber (laya), il émerge de nouveau (punar), mais pas quand il est détruit (mrita) ».
Le Maharshi commente ainsi:
« Le mental peut être à l’état latent et plonger dans le Soi; il doit nécessairement émerger à nouveau. Quand il émerge, on se retrouve alors identique à ce que l’on était avant. Car dans cet état les prédispositions mentales sont présentes sous forme latentes, prêtes à se remanifester si les conditions sont favorables. Les activités mentales peuvent aussi être détruites complètement. Il y donc une différence avec le mental précédent car, dans ce deuxième cas, l’attachement est rompue et ne réapparaît plus; Lorsqu’un homme a traversé l’état de samâdhi et qu’il contemple ensuite le monde, il ne considère celui-ci qu’à sa juste valeur, c’est-à-dire comme un phénomène [manifestation] de l’Unique Réalité. L’Etre Véritable ne peut être réalisé qu’en samâdhi; Ce qui était alors, est également maintenant. Sinon, il ne peut y avoir de Réalité ni d’Etre éternellement présent. Ce qui était durant le samâdhi est toujours présent, en tout lieu et de tout temps. La pratique du samâdhi vous y conduira. Sinon à quoi servirait donc l’état de nirvikalpa samâdhi dans lequel l’homme reste immobile comme peut l’être une bûche en bois ? Il doit nécessairement sortir de cet état à un moment ou à un autre et faire face au monde. Mais, dans l’état de sahaja-samâdhi, il reste inaffecté par le monde. Il y a tant d’images qui défilent sur un écran de cinéma; Le feu brûle toutes choses, l’eau ravage tout, et cependant l’écran reste impassible. Les situations représentées ne sont que des manifestations qui passent en laissant l’écran intact. Il en est de même pour le jnânî. Les manifestations du monde défilent devant lui et le laissent parfaitement inaffecté. Vous pouvez certes soutenir que les gens ressentent de la douleur ou du plaisir au contact des manifestations du monde. Cela est dû à des surimpositions. Cela ne devrait pas avoir lieu. C’est avec ce but en vue qu’il convient de se livrer à la pratique spirituelle. Celle-ci s’effectue en suivant l’une ou l’autre des deux voies: la dévotion ou la connaissance; A vrai dire, ces deux voies ne sont pas le but véritable [la voie n’est pas le but, mais ce qui y mène]; Il faut avant tout obtenir le samâdhi et le pratiquer continuellement jusqu’à l’obtention du sahaja samâdhi. Après, il ne reste plus rien à faire ». [Talks, p. 439.]
« Dans le sommeil profond, le mental est immergé, mais il n’est pas détruit. Ce qui est immergé, tôt ou tard, émerge. Il en est de même pour la méditation. Mais le mental qui est détruit ne peut plus réapparaître. Le but du yogî doit donc être de détruire le mental et non pas de plonger en laya. Dans la paix de dhyâna, le laya se produit mais cela n’est pas suffisant. Il faut aussi avoir recours à des pratiques complémentaires pour détruire le mental. Ainsi certaines personnes qui sont entrées en samâdhi avec une pensée quelconque, lorsqu’elles sont revenues à elles longtemps après, ont retrouvé cette même pensée ». [Talks, p. 79.]
14- « Quand le mental (manas) a été entravé (lîna, Lî) par la rétention (bandhana) du souffle (prâna), il peut être détruit (nâsha) par la réflexion méditative (chintana) en l’Un (eka) qui réalise cela (adas), [le Soi] ».
« Le désir du bonheur (sukha prema, [l’amour de la félicité]) est la meilleure preuve du bonheur éternel du Soi. Autrement, comment voulez-vous que ce désir puisse s’éveiller en vous ? Si le mal de tête était naturel à l’homme, ce dernier n’essaierait pas d’y échapper. Or tout homme qui a mal à la tête cherche à s’en défaire, parce qu’il a connu des moments où il n’avait pas mal à la tête. L’homme ne désire que ce qui est naturel pour lui. Aussi désire-t-il le bonheur, parce que le bonheur est naturel pour lui. Ce qui est naturel n’a pas à être conquis [puisque cela est de toute éternité]. Par conséquent, les efforts de l’homme ne peuvent viser qu’à se débarrasser de sa misère. S’il y parvient, il connaîtra aussitôt la félicité éternelle. La félicité primordiale est obscurcie par le non-Soi, synonyme de non-félicité, de malheur. Duhkha nâsha = sukha prâpti (la suppression de la douleur = l’obtention de la félicité). Le bonheur mélangé au malheur n’est que malheur. C’est quand le malheur est complètement éliminé que l’on peut dire que la félicité éternelle est obtenue ». [Talks, p. 583.]
15- « Le suprême (utkrishta) Yogî dont le mental (manas) est détruit (nashta), Qu’a-t-il [encore] à faire (kritya), et Qui demeure en sa propre nature (sva-sthiti) ? ».
La réponse devrait être évidente. Sa propre nature étant le Soi, il n’a plus rien à faire au sens où il est alors totalement détaché des actes (karma).
« Le jnânî demeure pleinement conscient que l’état véritable de l’Etre consiste à rester fixe et immobile au centre de toutes les actions qui se déploient autour de lui. La nature du jnânî ne change pas et son état n’est pas altéré le moins du monde. Il regarde toutes choses comme si elles ne le concernaient pas et il demeure en lui-même dans une parfaite félicité. L’état du jnânî est l’état de vérité, et également l’état d’être naturel et primordial. Lorsque l’homme y parvient, il doit s’y fixer fermement. Une fois fixé, il le sera pour toujours. (...) Il n’y a aucune différence entre un jnânî et un a-jnânî en ce qui concerne leur conduite. La seule différence concerne uniquement leur point de vue. L’ignorant s’identifie à son ego et prend par erreur ses activités pour celles du Soi, tandis que l’ego du jnânî a été abandonné. Le jnânî ne s’y limite plus, ni à aucune autre chose ». [Talks, p. 560.]
16- « Si la pensée (chitta) est détournée (vârita) des objets perçus (drishya) [par les sens] pour être focalisée sur la contemplation (darshana, vision) consciente (chit-tva) du Soi (âtmâ), alors s’établit la contemplation (darshana) de la Réalité (tattva) ».
« Un être séparé [illusoirement du Soi] s’imagine connaître quelque chose qui est distinct de lui-même (le non-Soi). Autrement dit, le sujet est conscient de l’objet. Le spectateur [sujet], c’est drik, le spectacle [objet], c’est drishya. Entre ces deux aspects doit exister un point commun qui émerge en tant qu’« l’ego ». Cet ego est de même nature que chit (l’intelligence). A-chit (l’objet inanimé) n’est que la négation de chit. Par conséquent, l’essence sous-jacente [existant entre sujet et objet] est analogue au sujet, mais différente de l’objet. En recherchant le drik, jusqu’à ce que tous les drishyas disparaissent complètement, le drik deviendra de plus en plus subtil jusqu’à ce que ne survive que le drik absolu. Ce processus est appelée drishya vilaya (la disparition du monde objectif) (...) L’élimination de drishya signifie l’élimination des identités séparées du sujet et de l’objet [élimination de la séparativité). L’objet est irréel [relatif]. Tout drishya, y compris l’ego, constitue l’objet. Lorsqu’on élimine l’irréel, la Réalité subsiste. Quand une corde est prise par erreur pour un serpent, il suffit de détruire la fausse perception du serpent pour que la vérité se révèle. Sans une telle élimination, la vérité n’apparaît pas ». [Talks, p. 23.]
On se remémorera cette strophe (27) de l’âtma-bodha de Shankara:
« Prenant à tort jîva pour le Soi, l’homme est effrayé, comme une personne qui, par erreur, prend une corde pour un serpent. Mais il est tout à fait libéré de la peur s’il se connaît non en tant que jîva mais en tant que le suprême Soi (parâtmâ). »
17- « Si l’on se place sur la voie (mârga) qu’il faut suivre (krita) en demandant : « Qu’est-ce que le mental (manas) ? Alors on doit se dire : « Le mental (manas) n’est pas (na) ». Ceci est la voie (mârga) directe (ârjava) ».
A un interlocuteur qui constatait que le mental pouvait être comparé à un agglomérat de pensées, Râmana répondit:
« C’est parce qu’il fonctionne à partir d’une racine unique, la pensée-« Je » [Talks, p. 396.] Le Maharshi cite alors cette strophe (17) en sanscrit de l’Upadesha sâram (Mânasam tu kim mârgane krite naiva mânasam mârga ârjavât) et précise:
« Le mental n’a aucune réelle existence en tant qu’entité séparée ». [Talks, p. 396.]
Cette voie directe fait écho à la strophe 2 de l’âtma-bodha de Shankara:
« De tous les moyens (sâdhana) qui tendent vers la Délivrance (moksha), la connaissance (jnâna) est le seul qui soit direct (sâkshât, directement); aussi essentiel que le feu pour la cuisson; sans la connaissance, la Délivrance ne peut être obtenue. »
18- « Toutes les pensées (vritti) sont liées (â-SHRI) à une pensée première (vrittaya) qui est « Je » (aham), or le mental (manas) est cette pensée première (vrittaya); donc le mental (manas) est cette idée (dhî) qui se connaît (vid) comme « Je » (aham) ».
« La vraie connaissance est au-delà de la connaissance relative et de l’ignorance. Elle ne revêt pas la forme de vritti. En elle il n’y a ni sujet ni objet (...) Vritti n’est qu’une modalité mentale. Vous n’êtes pas le mental. Vous êtes bien au-delà ». [Talks, p. 75.]
« Vritti est d’une durée limitée; c’est la conscience qualifiée et dirigée; c’est la Conscience absolue troublée par l’irruption des pensées, par les sens, etc. Vritti est donc le mode fonctionnel du mental; tandis que la Connaissance continuelle transcende le mental. Cette dernière est l’état naturel et primordial du jnânî, de l’être libéré. Elle constitue une expérience ininterrompue. Elle s’impose dès que la conscience relative décline ». [Talks, p. 267.]
« Le mental n’est que le résultat de l’identification du Soi au corps. C’est un faux ego qui est alors crée. Celui-ci produit, à son tour, de faux phénomènes et semble se mouvoir parmi eux. Tout cela est faux. Le Soi est la seule Réalité. Si cette fausse identification est détruite, la persistance de la Réalité devient évidente. Cela ne veut pas dire que la Réalité n’est pas déjà ici, et dès maintenant. Elle est toujours présente et éternellement la même. Elle existe dans l’expérience de chacun de nous. Chacun sait en effet qu’il existe. « Qui est-il ? » Subjectivement, « Qui suis-Je ? » Le faux ego est associé à des objets; cet ego étant lui-même son propre objet. C’est l’objectivation qui est une erreur. Le sujet seul est la Réalité. Ne vous confondez pas avec l’objet, nommément le corps. Cette méprise donne d’abord naissance à votre faux ego, puis au monde et à vos déplacements dans ce monde, avec leur cortège de souffrance. Ne vous pensez pas vous-même comme étant ceci, cela, ou autre chose; ni comme étant comme ceci ou comme cela, ou comme tel ou tel. Débarrassez-vous seulement de l’erreur. La Réalité se révélera d’elle-même ». [Talks, p. 51.]
19- « Si l’on se demande: « D’où ce (ayam) « Je » (aham) émerge ? » Cette recherche (ChI) interrogative (ayi) aboutit à ce que le « Je » (aham) disparaisse (PAT). Telle est l’investigation (vichâra) de ce qui a toujours été (ni-ja), [l’investigation du Soi] ».
Le Maharshi emploie un synonyme significatif pour désigner l’âtma-vichâra. Si l’on croit avoir trouvé ce qu’est ce « Je », alors il faut de nouveau s’interroger sur cette découverte en se posant à nouveau la question. L’intégration qui résultera de ce questionnement indéfini aboutira, si l’on est qualifié, au « passage à la limite » qui est la réalisation du Soi. Cette réalisation n’a jamais cessé d’être (ni-ja) car elle n’est pas la réponse à cette interrogation. Ce n’est pas une réponse de plus, ni une ultime réponse mais ce qui est au-delà de la question et de la non-question, comme de la réponse et de la non-réponse. La « limite » est toujours présente puisqu’elle n’appartient pas au devenir.
« Vous vous identifiez actuellement avec un faux « Je » qui est la pensée-« Je ». Cette pensée-« Je » émerge et disparaît, alors que la vraie signification du « Je » est au-delà de cette alternance. Il ne peut y avoir dans votre être aucune discontinuité. C’est vous qui dormiez et c’est aussi vous qui êtes actuellement éveillé. Il n’y avait aucune souffrance durant votre sommeil profond. Alors qu’en ce moment vous vous sentez malheureux. Qu’est-il donc arrivé, pour que vous ressentiez cette différence ? Il n’y avait pas de pensée-« Je » dans votre sommeil, alors qu’en ce moment elle est présente. Votre vrai « Je » ne se montre pas et c’est le faux « Je » qui s’exhibe. C’est ce faux « Je » qui fait obstacle à votre vraie connaissance. Cherchez d’où ce faux « Je » émerge et vous le verrez disparaître. Et vous constaterez que vous n’êtes rien d’autre que ce que vous êtes, c’est-à-dire l’Etre absolu ». [Talks, p. 184.]
20- « D’où le « Je » (aham) émerge (bhâj) et s’évanouit (nâsha); de là , par ce « Je-Je » (aham-aham), brille (SPHUR) spontanément (svayam) le Coeur (hrit), l’Etre (sat) Suprême (parama) Infini (pûrna) ».
Dans cette strophe, le Maharshi use de cette terminologie qui est propre à son enseignement en forgeant deux substantifs à partir du pronom personnel au nominatif aham. Le premier a déjà été utilisé dans certaines strophes précédentes sans que l’on puisse explicitement distinguer le pronom du substantif puisqu’il est employé au nominatif dans les deux cas sous la forme aham. Par contre, dans cette strophe il se distingue comme substantif en étant décliné au locatif ahami. Le second très caractéristique, ahamaham (aham-aham) est une véritable « équation » ontologique dont l’ultime solution est métaphysique, le nirguna Brahma.
21- « Cela [« Je-Je », l’Infini] est le sens (pada) véritable du « Je » (aham) puisque le « Je » (aham) émerge (anu, est à nouveau) [au réveil] et disparaît (lîna, Lî) [dans le sommeil profond] alors que la Réalité (sattâ) est permanente (a-laya, indissoluble) ».
« Celui qui dormait est maintenant éveillé. Le bonheur régnait alors mais le malheur est survenu au réveil. Il n’y avait pas de pensée-« Je » durant le sommeil alors qu’elle existe maintenant que vous êtes éveillé. L’état de bonheur et l’absence de la pensée-« Je » font naturellement partie du sommeil, sans effort. Le but devrait être de réaliser ce même état même maintenant. Ceci requiert des efforts. Efforcez-vous d’obtenir [les caractéristiques de] l’état de sommeil durant votre veille. Vous serez alors « réalisé ». L’effort consiste à anéantir la pensée-« Je » et non pas à faire entrer le vrai « Je ». Car ce dernier est éternel et n’exige aucun effort de votre part ». [Talks, p. 185.]
22- « Le « Je » (aham), l’ Etre (sat) Un (eka), n’est ni le corps (vigraha), ni les facultés de sensation et d’action (indriya), ni le souffle (prâna), ni la pensée (dhî), ni l’ignorance (tamas) qui sont tous inertes (jada) et irréels (a-sat) ».
« [Tout est Brahma.] Mais tant que vous considérez les pensées comme étant séparées [du Tout], il est préférable de les éviter. Si en revanche vous découvrez qu’elles sont le Soi, il n’y a plus aucun besoin de dire « Toutes ». Car tout ce que existe, est seulement Brahma. Il n’y a rien d’autre que Brahma (...) Quand vous voyez les objets dans la perspective de la multiplicité, ils sont a-sat, c’est-à-dire irréels. Mais quand vous les voyez comme étant en Brahma, alors ils sont réels, parce qu’ils tirent leur réalité de leur substrat qui est Brahma (...) [Dire que le corps, les sens, etc. sont jada (inertes)], cela revient au même que de dire, (...), que le corps, les sens, le mental, etc. sont séparés du Soi. Mais quand on réalise le Soi, on découvre alors que le corps, les sens, le mental, etc. ne sont pas distincts du Soi, mais sont en Lui. A ce stade de compréhension, personne ne pose plus la question ni n’a plus à dire qu’ils sont inertes ». [Talks, p. 269.]
« Sat-chit-ânanda est employé pour indiquer que le Suprême n’est pas asat (Il est différent de l’irréel) ni achit (Il est différent de l’inconscience) ni anânanda (Il est différent du malheur), c’est parce que nous sommes dans le monde phénoménal que nous désignons le Soi comme sat-chit-ânanda ». [Talks, p. 402.]
« Sat veut dire au-delà de sat et de a-sat, chit au-delà de chit et de a-chit, ânanda au-delà de la félicité et de la non-félicité. Qu’est-il alors ? S’il n’est ni sat, ni asat, on doit le considérer comme étant seulement sat. Comparons avec le terme jnâna. Jnâna est au-delà de la connaissance et de l’ignorance. Et cependant jnâna n’est pas l’ignorance mais la connaissance. Il en va de même de sat-chit-ânanda » [Talks, p. 403.]
23- « Où y aurait-il une autre conscience (chit) pour connaître (bhâs, lumière) le Réel (sattva) ? Le « Je » (aham) est cette Réalité (sattâ) et cette conscience accomplie (chit-chitta) ».
Sattva est, comme nous l’avons déjà vu, le troisième guna. Celui qui est le plus élevé.
24- « Malgré la différence (bhidâ) d’attributs (vesha) et de conception (dhî) entre la divinité (îsha, Dieu) et l’être individuel (jîva), ils [îsha-jîva] ne sont qu’une seule (kevala) Réalité (vastu), ils ne font qu’un seul (sva-bhâvata) Etre (sat) ».
Le composé îsha-jîva est décliné au duel ce qui implique qu’ils sont conçus comme deux réalités totalement identiques.
25- « Lorsque l’on se reconnaît sans (hâna, cessation) attributs (vesha), on se voit (darshana) identique (sva) au Soi (âtmâ); cette contemplation (darshana) de la divinité (îsha) est alors la forme (rûpa) même (sva) du Soi (âtmâ) ».
Il convient de transposer les notions de vision (darshana, contemplation) et de forme (rûpa) qui ne sont employés ici que comme symbole de ce qui justement ne peut ni se voir ni prendre forme.
26- « S’unir (samsthiti) au Soi (âtmâ), c’est être dans la contemplation (darshana) même (sva) du Soi (âtmâ), il n’y a pas deux (nir-dvaya) Soi (âtmâ), on est identifié (nishtha) au Soi  (âtmâ)».
« La véritable méditation est âtma-nishtha (la concentration sur le Soi). On appelle généralement méditation, l’effort requis pour chasser du mental les pensées chaque fois que celles-ci s’y présentent. âtmanishtha est votre état naturel. Restez donc tel que vous êtes. Voilà le but ». [Talks, p. 256.]
27- « La [vraie] conscience (chit) dépasse (hîna) l’ignorance (a-jnâna) comme elle dépasse (varjita) la connaissance (jnâna) [même], car dans l’intériorité (antaram) du connaître (jnâtum) quelle connaissance (jnâna) y a-t-il encore [à rechercher] ? »
Cette strophe fait écho à la strophe 5 de l’âtma-bodha de Shankara:
« Le jîva est mêlé d’ignorance (ajnâna). Par les efforts (abhyâsa) de compréhension (jnâna), le jîva devient pure  et la connaissance (jnâna) disparaît [en même temps que l’ignorance] comme la poudre de kataka (noix purifiante) disparaît dans l’eau avec les impuretés ».
28- « Si la contemplation (darshana) du Soi (âtmâ), qui est la réponse à cette question: « Quelle est notre vraie nature (sva-rûpa) ? », est atteinte; alors [cela] est Béatitude (sukham), Infini (âpûrna), Conscience (chit), Non-Né (abhava), Immuable (a-vyaya) ».
29- « L’être (jîva), ayant atteint (VID) ici-même (iha) la Béatitude (sukham) suprême (param) qui est au-delà (atîta) des liens (bandha) comme des affranchissements (mukti), est alors identifié aux états supra-individuels (daivika, ce qui est relatif aux devas) ».
Ce qui est relatif aux devas, c’est ce qui transcende l’état humain et qui correspond ainsi aux aspects supra-individuels de l’être.
30- « Lorsque le « Je » (aham) disparaît (apeta) et qu’apparaît (vi-BHâ) « Ce qui n’a jamais cessé d’être » (ni-ja), alors est accomplie la grande (mahâ) ascèse (tapas). Tel est l’enseignement (vâch, parole) de Ramana (ramana) ».
En conclusion, nous pouvons rapporter cette réponse donnée à quelqu’un qui sollicitait un upadesha:
« L’upadesha [l’instruction même] est contenu dans l’[ouvrage] Upadesha sâram ». [Talks, p. 314]

La Guirlande des Noms de Bhagavân

Cent-huit noms attribués à Râmana Maharshi sont chantés chaque jour durant la cérémonie (pûjâ) faite sur sa tombe (samâdhi, « union »). Ils ont été composés par Shrî Vishvanathan. Ces 108 noms apportent un éclairage particulier sur la « personnalité » du Maharshi, sur le symbolisme de son existence terrestre ainsi que sur la dévotion dont il est le centre.
1- mahâsena mahâmshena jâtah, « Celui qui est né (jâta) de l’éclat (mahâ-amsha) de Mahâsena ». Mahâsena, littéralement « qui a une grande armée, grand général », est l’un des noms du plus jeune fils de Shiva et de Pârvatî, aussi appelé Skanda.
2- shrî ramana, « Celui qui se réjouit en son propre Soi  ». La racine RAM signifie « réjouir, satisfaire », ramana est « ce qui réjouit », râma signifie « charmant », Râma est le héros du râmâyana. Venkatarâman était le nom que portait le Maharshi dans son enfance. Râmana, ou Ramana en est un diminutif
3- guruh, « Celui qui révèle l’ultime Vérité ».
4- akhanda samvidâkârah, «Celui qui est l’expression (âkâra) de la connaissance (sam-vid) intégrale (akhanda) ».
5- mahaujah, « Celui qui est d’une grande (mahâ) force (ojas) ».
6- kâranodbhavah, « Celui qui est né (udbhava) pour un grande cause (kârana) ».
7- jagadditavatârah, « Celui qui descend (avatâra) parmi nous pour le bien du monde (jagat) ».
8- srî bhûminâthasthalotthitah, « Celui qui est né (utthita) en ce lieu sacré (sthala) où demeure Bhûminâtha ». Littéralement le protecteur (nâtha) de la terre (bhûmi), Bhûminâtha est un des noms de Shiva donné à Tiruchuzhi, lieu de naissance du Maharshi.
9- parâsharakulottamah, « Celui qui est le plus éminent (uttama) membre de la lignée (kula) de Parâshara, (un des Rishis) » On attribue à ce Rishi (Celui qui « voit ») la composition des hymnes 65 à 73 du premier mandala du Rig-Veda, ainsi que l’Upapurâna et le Parâsharadharmashâstra.
10- sundarâyatapah phalam, « Celui qui est le fruit (phala) de l’ascèse (tapas) de Sundaram ». Sundaram Aiyar est le nom du père de Râmana.
11- kamanîya sucharitrah, « Celui qui est d’une bonne (kamanîya) et heureuse conduite (sucharitra) »
12- sahâyâmbâ sahâyavân, « Celui qui porte l’influence (sahâyavân) de la Mère (ambâ) divine Sahâya ». Littéralement la compagne (sahâya), Sahâya est un des noms de la Shakti à Tiruchuzhi.
13- shonâchalamaholînamânasah, « Celui dont le mental (manas) disparaît (lîna) dans la lumière (ahar) d’Arunâchala, la colline (achala) rouge (shona) ».
14- svarnahastakah, « Celui dont les mains (hasta) portent des signes célestes (svar), d’or (svarna) ».
15- shrîmad dvâdashânta mahâsthale labdha vidyodayah, « Celui qui est illuminé (udaya) par la connaissance (vidyâ) en ce haut (mahâ) lieu sacré (sthala) de Maduraï, le douzième (dvâdasha) Centre de la Shakti ». Son père étant décédé, Râmana vécut alors à Maduraï chez son oncle paternel. C’est dans la demeure de ce dernier qu’il connut l’illumination, ce « passage à la limite » dont nous avons donné précédemment le récit.
16- mahâshaktinipâtena prabuddhah, « Celui qui reçoit l’éveil (prabuddha) par la descente (nipâta) de la suprême (mahâ) Shakti ».
17- paramârthavit, « Celui qui connaît (vid), le but (artha) suprême (parama) ».
18- tîvrah, « Celui qui est ardent (tîvra) ».
19- pitrupâdânveshi, « Celui qui est en quête (upâdâ) de son Père (pitri)». Allusion au voyage du Maharshi pour rejoindre Arunâchala qui est le symbole de Shiva, le Père spirituel de Râmana.
20- indumaulîna pitrumân, « Celui  dont le Père (pitri) à la tête couronné (maulin) d’un croissant de lune (indu) ». C’est-à-dire Shiva.
21- piturâdeshatah shona shailam prâptah, « Celui qui atteignit (prâpta) Arunâchala, la colline (shaila) rouge (shona), à la demande (âdesha) de son Père (pitri): Shiva ».
22- tapomayah, « Celui qui est constitué (maya) d’ascèse (tapas) », symbole de l’ascèse et de ce qui en résulte.
23- udâsînah, « Celui qui est indifférent (udâsîna), détaché de tout ».
24- mahâ yogî, « Celui qui est un grand (mahâ) Yogî ».
25- mahotsâhah, « Celui qui est d’une grande (mahâ) force (utsâha), d’un grand enthousiasme ».
26- kushâgradhîh, « Celui qui a une pensée (dhî) aiguisée (agra) comme le tranchant d’un brin d’herbe Kusha ».
27- shânta samkalpa samrambhah, « Celui pour qui le flot des pensées (samkalpa) est contrôlé (samrambha) et apaisé (shânta) ».
28- shunsamdrik, « Celui dont la vision (samdrish) est lumineuse ».
29- savitâ, « Celui qui est comme Savitri, le Soleil de la connaissance ».
30- sthirah, « Celui qui est fermement (sthira) établi dans le Soi ».
31- tapah kshapita sarvângah, « Celui dont tout (sarva) la corps (anga) a été décharné (kshapita) par l’ascèse (tapas) ». Indifférent au monde extérieur et à son propre corps, Le Maharshi connut de grandes austérités.
32- phullâmbuja vilochanah, « Celui dont le regard (vilochana) est épanoui (phulla) comme un lotus (ambu-ja, littéralement « né de l’eau ») ».
33- chandrikâshîta hâsa shrî manditâna mandalah, « Celui dont le visage porte un sourire (hâsa) comme un disque (mandala) orné (mandita) d’un beau clair de lune (chandrikâ-shîta) ».
34- chûtavâtyâm samâsîna, « Celui qui demeure en paix (samâsîna) sous l’agitation (vâtyâ) des branches d’un manguier (chûta) ».
35- chûrnitâkhila, vibhramah, « Celui qui a réduit en cendres (chûrnita) toute folle agitation (vibhrama) ».
36- veda vedânta tattvajna, « Celui qui connaît (jna) toute la vérité (tattva) du Veda et du Vedânta ». Le Vedânta n’étant que l’aboutissement , la fin (anta) du Veda
37- chinmudri, « Celui dont la pose de la main (mudra) signifie l’illumination (chit) ». Le Chit-mudra consiste à tenir uni le pouce avec l’index. Ce mudra est notamment propre à celui qui enseigne par le Silence (mauna-vyâkhyâ) comme pouvait le faire le Maharshi lui-même successeur, en ce sens, de Dakshinâmûrti
38- trigunâtigah, « Celui qui dépasse (ati-ga) la distinction des trois (tri) Qualités (guna) ». Les trois guna sont sattva, rajas et tamas.
39- virûpâksha guhâvâsah, « Celui qui élu domicile (vâsa) dans la grotte (guhâ) de Virûpâksha ». La racine GUH signifie cacher. Premier lieu de résidence du Maharshi sur la colline d’Arunâchala, cette grotte est situé sur le versant sud-est. Virûpâksha était le nom d’un sage qui l’habita vraisemblablement au XIIIè siècle.
40- virâjadachalâkritih, « Celui dont la forme (âkriti) resplendit de paix ». Immobile (achala), établi dans la paix, comme une colline (achala).
41- uddîptanayanah, « Celui dont le regard (nayana, oeil) est enflammé (uddîpta) ».
42- pûrnah, « Celui qui est l’accomplissement (pûrna) même ».
43- rachitâchala tândavah, « Celui dont la danse (tandava) est l’image (rachita) de l’immobilité (achala) ». Ceci fait référence à l’aspect polaire de Shiva Natarâja, principe immobile de la danse cosmique, le « Moteur immobile ».
44- gambhîrah, « Celui qui est insondable (gambhîra, profond) ».
45- paramâchâryah, « Celui qui est le maître (âchârya) suprême (parama) ».
46- suprasannah, « Celui qui est serein (su-prasanna, limpide) ».
47- abhayapradah, « Celui qui offre (pra-da) la paix (abhaya) ».
48- dakshinâsyanibhah, « Celui qui ressemble (nibha) à Dakshinâmûrti ».
49- dhîrah, « Celui qui est un sage (dhîra, stable) ».
50- dakshinâbhimukhah, « Celui qui fait face (abhi-mukha) au Sud (dakshinâ) ». Il occupe ainsi une position proprement polaire. Situé au pôle spirituel, symbole de Dakshinâmûrti, le Maharshi fait ainsi toujours face au Sud.
51- svarât, « Celui qui brille (SVAR) ou qui vibre (SVAR, résonner) ». Il est ainsi la source même du son (svara) support de toute révélation.
52- maharshih, « Celui qui est un grand (mahâ) voyant (rishi) ».
53- bhagavân, « Celui qui est bienheureux (bhagavân, le seigneur) ».
54- îdyah, « Celui que l’on invoque (îD) ».
55- bhûmavidyâ vishâradah, « Celui qui est versé (vishârada) dans la connaissance (vidyâ) de la possibilité universelle (bhûma) ».
56- vimala, « Celui qui est immaculé (vimala, pur) ».
57- dîrgha darshî, « Celui qui est un voyant (darshî) pénétrant (dîrgha, étendu) ».
58- âptah, « Celui qui est un ami fidèle (âpta) ».
59- rijumârga pradarshakah, « Celui qui est le maître (pra-darshaka) de la voie (mârga) directe (riju, droite) ».
60- samadrik, « Celui qui voit (drish) tout comme identique (sama, égal) ». Pour lui il n’y a rien d’autre que le Soi.
61- satyadrik, « Celui qui voit (drish) la vérité (satya) ».
62- satyah, « Celui qui est la vérité (satya) même ».
63- prashântah, « Celui qui est établi dans la paix (pra-SHAM) ». Il est le symbole même de la paix (shânti).
64- amita vikramah, « Celui qui est d’une vaillance (vikrama) illimitée (amita) ».
65- sukumârah, « Celui qui a la délicatesse (su-kumâra), la beauté ». On pourrait aussi dire l’éternelle jeunesse, kumâra c’est le « jeune homme ».
66- sadânandah, « Celui dont l’être (sat) est béatitude (ânanda) ».
67- mridu bhâshî, « Celui qui est interlocuteur (bhâshî, commentateur) attentif (mridu, tendre) ». A l’image de Shankara qui élabora de subtils commentaires (bhâshya) des textes sacrés.
68- dayârnavah, « Celui qui est un océan (arnava) de compassion (dayâ) ».
69- srî shonâchala hridbhûta skandâshrama nikhetanah, « Celui qui demeura dans la grotte (ni-kheta) de Skandâshram (skanda-âshrama), le propre coeur (hrid) d’Arunâchala (shona-achala) ». Quittant la grotte de Virûpaksha, le Maharshi occupa ensuite la grotte de Skandâshram située un peu plus haut sur la colline
70- saddarshanopadeshtâ, « Celui qui est un maître (upadeshtri) dans la contemplation (darshana) de l’Etre (sat) ».
71- sadbhakta vrinda parivrittah, « Celui qui est entouré (parivritta) par une foule (vrinda) de dévots (sad-bhakta) sincères ».
72- ganesha munibhringena sevitânghri saroruhah, « Celui [dont les pieds] comme des racines (anghri) de lotus (saro-ruha) ont été recherché par Ganapati Muni ». Ganapati est un des noms de Ganesha. Proche de Râmana, Ganapati Muni est l’auteur de l’ouvrage intitulé Râmana-Gîtâ.
73- gîtopadesha sârâdi grantha samchinna samshayah, « Celui qui dissipe (sam-CHID) les doutes (samshaya) par son enseignement (grantha, oeuvre) comme (âdi) « l’essence (sâra) de l’enseignement (upadesha) de la Bhagavat-Gîtâ (gîtâ) ».
74- varnâshrama matâtîtah, « Celui qui transcende (atîta) les distinctions (mata) comme la caste (varna) ou le stade propre de la vie (âshrama)». Les castes comme les âshramas sont au nombre de quatre.
75- rasajnah, « Celui qui connaît (jna) l’essence (rasa, la saveur) des choses ».
76- saumyah, « Celui qui est bienveillant (saumya, relatif au soma, au breuvage d’immortalité) ».
77- âtmavân, « Celui qui a réalisé le Soi (âtmâ), maître de soi (âtmavân) ».
78- sarvâvanimatasthânârâdhyah, « Celui qui a gagné la confiance (ârâdhya) de ceux qui rattachés à des formes traditionnelles différentes (mata) résident (sthâna) dans le monde (avani) entier (sarva) ».
79- sarvasadgunî, « Celui qui possède (sat) toutes (sarva) les qualités (guna) ».
80- âtmâramah, « Celui qui se complaît (â-RAM) dans le Soi (âtmâ) ».
81- mahâbhâgah, « Celui qui a le plus grand (mahâ) rôle (bhâga, part) ».
82- mâtur mukti vidhâyakah, « Celui qui a procuré (vi-DHâ) la délivrance (mukti) à sa mère (mâtri) ». Ceci fait allusion au rôle primordial tenu par le Maharshi lors du décès de sa mère.
83- vinatah, « Celui qui est humble (vi-NAM) ».
84- vinutah « Celui qui est honoré de tous (vi-NU) ».
85- viprah, « Celui qui est un Brâhmane (vipra, représentant du sacerdoce) par excellence ». Il est effectivement ce que le mot brâhmane signifie « celui qui est identifié en Brahma ».
86- munîndrah, « Celui qui est le Seigneur (indra) des réalisés (muni) ». L’état de Muni étant le plus haut degré spirituel , comme Indra est le plus haut aspect divin.
87- pâvakojjvalah, « Celui qui resplendit (ujjvala) comme le feu (pâvaka) ». Pâvaka est aussi un nom de Skanda.
88- darshanâdaghasamhârî, « Celui qui lorsqu’on le contemple (darshana) est le destructeur (samhârî) de l’erreur (agha, impureté) ».
89- maunena svâtmabodhakah, « Celui qui révèle (bodhaka) le Soi (âtmâ) véritable (sva) par son silence (mauna) ». Littéralement mauna signifie « ce qui est propre au Muni ». Et n’est-ce pas le Silence spirituel qui est le symbole même de la Réalisation ?
90- hrichchhântikara sâmnidhyah, « Celui qui par sa présence (sâmnidhya) apporte (kara) la paix (shânti) dans le Coeur (hrid) ».
91- smaranâd bandha mochakah, « Celui qui lorsque l’on pense à lui (smarana, fait de se remémorer) libère (mochaka) de tous les liens (bandha) ».
92- antatimira chandâmshuh, « Celui qui sans pitié (chanda-amshu) met fin (anta) à l’obscurité (timira) des choses ».
93- samsârârnava târakah, « Celui qui fait traverser (târaka) l’océan (arnava) de la transmigration (samsâra) ».
94- shonadesha stuti drashta, « Celui qui a composé (drashta, avoir la vision) des hymnes (stuti) à Arunâchala (shona-desha, rouge-lieu) ».
95- hârda vidyâ prakâshakah, « Celui qui nous révèle (prakâshaka) la connaissance (vidyâ) propre au Coeur (hârda) ».
96- aviyukta nija prajnah, « Celui qui est un sage (prajna) jamais séparé (aviyukta) de la connaissance absolue (nija, ce qui est inné) ».
97- naisargika mahâ tapah, « Celui qui est spontanément (naisargika, inné) immergé dans l’ascèse (tapas) absolue (mahâ) ».
98- kamandalu dharah, « Celui qui porte (dhara) la cruche des ascètes, le kamandalu ».
99- shubhra kaupîna vasanah, « Celui qui n’a pour vêtement (vasana) qu’un kaupîna, un tissu blanc (shubhra) pour ceindre les reins ».
100- guhah, « Celui qui demeure dans la Caverne du Coeur ». Guha est un des noms de Skanda. La racine GUH signifie cacher et le terme guhâ désigne la caverne.
101- dandapânih, « Celui qui tient dans la main (pâni) un bâton (danda) ». Ce bâton est un symbole de l’axe du Monde, celui qui le tient est symboliquement (et effectivement dans le cas du Maharshi) rétabli au centre du Monde, au Pôle spirituel.
102- kripâpûrnah, « Celui qui est d’une suprême (pûrna) compassion (kripâ) ».
103- bhavaroga bhishagvarah, « Celui qui est le meilleur (vara) médecin (bhishak) de la maladie (roga) essentielle (bhava) », celle de l’ignorance.
104- skandah, « Celui qui est la manifestation de Shiva », le fruit de Shiva.
105- devâtmâ, « Celui qui est de nature divine », la lumière (deva) du Soi (âtmâ).
106- amartyah, « Celui qui est immortel (a-martya) ». Il a consommé le breuvage d’immortalité (amrita).
107- senânih, « Celui qui est le maître des armées, Skanda ».
108- purushottamah, « Celui qui est le suprême (uttama) Purusha », le Seigneur impérissable, paramâtmâ.

Sad-vidyâ

En conclusion, nous donnons la traduction de l’unique strophe (8) composé en sanscrit par le Maharshi qui figure avec 39 autres strophes dans la deuxième partie de l’ouvrage intitulé en tamoul Ulladu nârpadu et en sanscrit Sad-vidyâ, « La connaissance (vidyâ) de l’Etre (sat) ». Voici cette strophe et sa traduction:

hridayakuharamadhye kevalam brahmamâtram
hyahamaham iti sâkshâdâtmarûpena bhâti
hridi visha manasâ svam chinvatâ majjatâ vâ
pavanachalanarodhâd âtmanishtho bhava tvam

« Au centre (madhya) de la caverne (kuhara) du Cœur (hridaya), l’Unique (kevala), l’Infini (mâtra) Brahma , dont on dit (iti) en effet (hi) qu’Il est « Je-Je » (aham-aham), brille (Bhâ) directement (sâkshât, abrupte) comme étant de la nature (rûpa) du Soi (âtmâ). Entre (VISH) toi-même (sva) dans le Cœur (hrid) au moyen du questionnement (ChI) mental (manas) [« Qui suis-Je ? »] ou () par la destruction (MAJJ) [du mental] dans la rétention (rodha) [contrôlée] du souffle (pavana-chalana) et immerge (nishtha BHû)-toi (tvam) dans le Soi (âtmâ) ».
« Le terme Cœur est utilisé dans les Vedas et les textes pour désigner le lieu d’où jaillit le concept « Je ». S’élève-t-il seulement de cette masse de chair ? Il jaillit en nous de quelque part, juste au milieu de notre être. Le « Je » n’est pas localisable. Tout est le Soi. Rien d’autre n’existe. Par conséquent, on peut dire que le Cœur est l’ensemble de tout notre corps et de l’univers entier, le tout conçu comme « Je ». Mais pour aider celui qui cherche (abhyâsi), il faut lui indiquer un endroit précis de l’univers ou de son corps. Aussi dit-on que c’est le Cœur qui est le siège du Soi. Mais en vérité nous sommes partout, nous sommes tout ce qui est et il n’y a rien d’autre ». [Talks, p. 34.]
« Le (Cœur), c’est le centre du Soi. Le Soi est le centre des centres ». [Talks, p. 46.]
« Le Cœur n’est pas physique, il est spirituel. Hridayam (hrid + ayam) veut dire: « Ceci est le centre ». C’est de là que jaillissent les pensées, c’est là qu’elles vivent et se résorbent. Les pensées sont le contenu du mental et elles façonnent l’univers. Le Cœur est le centre de tout (...) Brahma est le Cœur ». [Talks, pp. 92 et 93.]
« Le Soi, c’est le Cœur. Le Cœur est lumineux par lui-même. La lumière part du Cœur puis atteint le cerveau, qui est le siège du mental. Le monde est perçu par le mental grâce à la lumière réfléchie du Soi. Quand le mental est éclairé, il prend conscience du monde. Quand il n’est pas éclairé, il n’a pas conscience du monde. Si le mental est orienté vers la source de lumière, la connaissance objective s’abolit et le Soi seul resplendit comme le Cœur. La lune luit grâce à la lumière réfléchie du soleil. Lorsque le soleil se couche, la lune devient utile pour révéler l’existence des objets. Lorsque le soleil se lève, personne n’a plus besoin de la lune bien que son disque pâle reste encore visible dans le ciel. Il en est de même pour le mental et le Cœur. Le mental est utile en raison de la lumière réfléchie qui sert à la vision des objets. Lorsque le mental est tourné vers l’intérieur, la source de son illumination resplendit d’elle-même et le mental devient pâle et inutile comme la lune en plein jour ». [Talks, p. 94.]
« Vous êtes toujours dans le Cœur ». [Talks, p. 98.]
« Il faut rechercher le Soi et le réaliser. Le Cœur jouera alors son rôle automatiquement. Le siège de la réalisation, c’est le Cœur. On ne peut dire s’Il est intérieur ou extérieur ». [Talks, p. 119.]
« Le Cœur est le centre d’où tout jaillit. C’est parce que vous voyez le monde, votre corps, etc., qu’on dit qu’ils ont un centre que l’on dénomme le Cœur. Quand vous êtes dans le Cœur, vous comprenez que ce Cœur n’est ni le centre ni la circonférence et qu’il n’y a rien d’autre. Alors de quoi peut-il être le centre ?  ». [Talks, p. 229.]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.