SHANKARA –
Hymne à Dakshinâmûrti
Hymne traduit à partir de l’original sanscrit composé
par Shankara.
Sachant que le terme dakshinâmûrti signifie, si on le
décompose en dakshinâ-mûrti, l’aspect
(mûrti) qui fait face au Sud (dakshinâ). Celui qui fait face au Sud
doit, pour remplir pleinement cette exigence, être placé au Nord sur l’axe des
pôles, car c’est de ce point unique que l’on fait toujours face au Sud.
Dakshinâmûrti est donc Shiva en tant que Pôle, ce point originel moteur
immobile du manifesté. C’est d’ailleurs le sens de ce terme si on le décompose
en dakshina-amûrti, il est le
principe (dakshina) informel (a-mûrti, non-forme). Il est celui qui
produit le manifesté sans être lui-même manifesté, celui qui engendre le
mouvement et donc le temps sans être lui-même soumis au temps. En ce sens, on
le représente sous les traits d’un jeune adolescent, montrant ainsi qu’il n’est
pas soumis à cette condition temporelle. Cette dimension primordiale est encore
soulignée d’une façon particulièrement nette par le mode de son enseignement le
« silence », le plus éminent symbole du nirguna Brahma, du Non-Etre.
Introduction-« Celui qui enseigne (vyâkhyâ) par le Silence (mauna)
la vérité (tattva) réalisée (prakatita) du Suprême (para) Brahma, qui est un adolescent
(yuvân), qui est le prince (indra)
des précepteurs (âchârya), entouré (âvrita) d’un groupe de disciples (gana), de très vieux (varshishtha) sages (rishi) absorbés (nishtha)
fermement en Brahma, celui dont l’attitude de la main signifie l’Illumination (chit-mudra), celui qui est la
représentation (mûrti) de la
béatitude (ânanda), qui se complaît (ârâma) dans le Soi (sva-âtmâ), qui a un doux (mudita)
visage (vadana)- C’est [lui], « l’Aspect
[de Shiva] qui fait face au Sud » (dakshinâ-mûrti), que nous adorons ».
Le terme mauna
que l’on traduit par « silence » désigne littéralement « l’état
de Muni ». Le Muni est celui qui a atteint le plus
haut état spirituel. Identifié dans le Non-Etre, il est le symbole même du
non-manifesté dont le silence est le suprême emblème. Mauna est ainsi le symbole du nirguna
Brahma.
1- « A lui qui, par Mâyâ, comme en rêve (nidrâ,
sommeil), voit (pashya) en son for
intérieur (ni-ja-antar-gata)
l’univers (vishva) qui est en lui (âtmâ), comme une cité (nagarî) apparaissant (DRiSH) dans un miroir (darpana), [mais] qui est manifesté (ud-BHû) comme extérieur (bahih): à lui qui perçoit (sâkshât-KRI), à l’instant (samaya) de l’éveil (prabodha), son propre (sva)
Soi (âtmâ) comme non-duel (a-dvaya): à lui qui est la forme (mûrti) même du Guru, le bienheureux
Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
2- « A lui qui, comme un magicien (mâyâvî, le fils de Mâyâ) ou même comme un grand (mahâ)
Yogî, déploie (vi-JRiMBH), par son
propre (sva) pouvoir (ichchhayâ), cet univers (jagat) indifférencié (nir-vikalpa) à l’origine (prân) comme le bourgeon (ankura) à l’intérieur (antar) du germe (bîja), mais différencié (chitrî-krita)
ensuite par les diverses (vaichitrya)
conditions (kalanâ) d’espace (desha) et de temps (kâla) posées (kalpita)
par Mâyâ: à lui qui est la forme même
du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
3- « A lui dont la luminosité (sphurana) qui est être (sat) par nature (âtma-ka) éclaire (BHâS)
le monde manifesté (kalpa-artha-ka)
qui est comme le néant (a-sat): à lui
qui enseigne (BUDH), par l’injonction
(vachas) du Veda « tu es
cela » (tat tvam asi), ceux qui
le sollicitent (â-SHRI): à lui par
qui, s’il est réalisé (karana BHû),
il n’y aura plus d’autre (punar)
chute (âvritti, retour) dans l’océan
(ambhonidhi) de l’existence (bhava): à lui qui est la forme même du
Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
L’injonction citée dans cette strophe se rattache au Sâma-Veda et se trouve énoncée dans la Chândogya-upanishad (VI, 8, 7). Elle
fait partie des mahâ-vâkya (les
paroles essentielles). Chaque mahâvâkhya
est rattaché à un Veda. Au Rig-Veda correspond l’injonction
« La connaissance est Brahma » (pra-jnânam
Brahma) énoncée dans l’Aitareya-upanishad
(V, 3). Au Yajur-Veda correspond
l’injonction « Je suis Brahma » (aham
Brahma asmi) énoncée dans la Brihad-âranyaka-upanishad
(I, 4, 10). Et à l’Atharva-Veda
correspond l’injonction « le Soi est Brahma » (ayam âtmâ Brahma) énoncée dans la Mândûkya-upanishad (2).
4- « A lui qui est lumineux (bhâs-vara) comme l’éclat (prabhâ)
d’une grande lampe (mahâ-dîpa)
installée (sthita) au sein (udara, ventre) d’un vase (ghata) percé de nombreux trous (chidra): à lui dont la connaissance (jnâna) s’extériorise (bahih SPAND) par l’oeil (chakshus) et par les autres organes (karana): à lui qui rayonne (BHâ) en tant que « je sais » (JNâ) et l’univers (jagat) entier (samasta)
brille par lui (anu-BHâ): à lui qui
est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage
! »
5- « Ceux qui connaissent (VID) le « Je » (aham)
en tant que corps (deha), souffle (prâna), organes de sensation et d’action
(indriya), intellect changeant (chala-buddhi) ou comme [étant] l’absence
(shûnya, vide) sont abusés (BHRAM) comme les femmes (strî) et les enfants (bâla), les aveugles (andha) et les sots (jada, inerte), et ils parlent (vâdî)
beaucoup: à lui qui est le destructeur (sam-hârî) de la grande illusion (mahâ-vyâmoha) produite (kalpita) par le jeu (vilâsa) de la puissance de Mâyâ (mâyâ-shakti): à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux
Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
6- « A l’esprit (pumân), qui dans le sommeil (sushupta)
est pur être (sat-mâtra), les sens (karana) anéantis (upa-sam-HRi), et qui dans le retrait du voilement (samâchchhâdana) de Mâyâ, comme le soleil (divâkara)
et la lune (indu) dans l’éclipse (râhu-grasta), reconnaît (praty-abhi-JNâ) au réveil (prabodha-samaya,
condition d’éveil): « j’ai dormi (SVAP)
jusqu’à maintenant (prâk) »: à
lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet
hommage ! »
7- « A lui qui, par l’attitude de la main
signifiant la réalisation (bhadra-mudra),
manifeste (prakatî KRi) à ses fidèles (bhajan) son propre (sva)
Soi (âtmâ) qui brille (SPHUR) pour toujours (sadâ) intérieurement (antar) en tant que « Je » (aham), constamment (anu-vartamâna), dans tous (sarva)
les états (avasthâ) inconstants (vyâvritti) tels que l’enfance (bâlya), etc., l’état de veille (jâgrat), etc.- à lui qui est la forme
même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage ! »
8- « A l’esprit (purusha) qui, abusé (pari-BHRAM) par Mâyâ, voit (PASH), en
rêve (svapna) et à l’état de veille (jâgrat), l’univers (vishva) dans ses distinctions (bheda)
telles que cause (kârana) et effet (kârya), propriété (sambandha) et propriétaire (svâmi),
maître (âchârya) et disciple (shishya), fils (putra) et père (pitri),
etc.: à lui qui est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui
cet hommage ! »
9- « A lui dont l’octuple (ashtaka) forme (mûrti)
est tout [cet univers] mouvant (chara)
et immuable (a-chara), apparaissant (â-BHâ) en tant que terre (bhû), eau (ambhas), feu (anala), air
(anila), éther (ambara), soleil (ahar-nâtha),
lune (himâmshu) et esprit (pumân): à lui le suprême (para), le tout-pénétrant (vi-bhu), au-delà duquel rien d’autre
n’est à connaître (VID) pour ceux qui
sont en quête (vimrishan): à lui qui
est la forme même du Guru, le bienheureux Dakshinâmûrti, à lui cet hommage
! »
10- « Puisque, dans cet hymne (stava), l’état du Soi intégral (sarva-âtma-tva)
a été ainsi expliqué (sphutî KRi); en
l’écoutant (shravana), en
réfléchissant (manana) à sa
signification (artha, le but), en le
méditant (dhyâna) et en le récitant (samkîrtana), [alors] s’accompliront (AS) le royaume (îshvaratva) et la suprême splendeur (mahâ-vibhûti) de cet état de Soi intégral (sva-âtma-tva); ainsi sera réalisé (SIDH), à nouveau (punar),
le pouvoir prodigieux (îshvarya),
sans obstacle (a-vyâhata), qui se
présente (pari-NAM) sous huit formes
(ashta-dhâ) ».
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