Al Ma’rifah - Le spiritisme et son
erreur
Nous
nous permettons de reproduire le texte de la traduction française faite par M.
Raouf G. de deux des articles de René Guénon publiés en arabe pour la revue al Ma’rifah sous le nom de ‘Abd al Wâhid Yahya. Cette traduction
est parue en 2003 dans le numéro 7 (août-septembre) de la revue Ganesha. Ces articles traduits portent respectivement
les titres suivant : Le spiritisme
et son erreur et Le spiritisme - Réponse à une objection.
Le
traducteur M. Raouf G. avait alors rédigé cette note informative :
« Au
moment de livrer cette traduction nous apprenons que ce travail avait déjà été
fait par Jean Foucaud et devrait paraître sous une forme plus élaborée
(introduction, présentation, notes…). Nous l’avons aussitôt informé de notre
intention de publication et obtenu son aimable accord accompagné de précieuses
suggestions, notamment quant à la restitution de certains termes tels que René
Guénon les utilise dans son œuvre en langue française. »
Le
traducteur précise enfin que les notes ainsi que les indications entre crochets
sont de lui et qu’elles ont pour but de rendre plus intelligible la traduction
intentionnellement littérale.
Le spiritisme et son erreur
Parmi
les erreurs occidentales modernes, l’une des plus dangeureuse s’est installée
en Amérique depuis moins d’un siècle (depuis 1847 très exactement). Elle est
connue sous l’appellation de « spiritisme » [litt. =
« néo-spiritualisme »].
Il
est possible de la définir comme étant l’assertion de la possibilité de
communiquer avec les morts par l’intermédiaire de moyens matériels.
Comment
[cette erreur] est-elle née ?
Au
départ, elle est apparue à la suite [de la constatation] de certains phénomènes
naturels, tels que la production de sons ou le déplacement d’objets à
l’intérieur d’une maison hantée, et cela sans causes bien définies.
Toutefois,
ces phénomènes furent observés de tous temps et en tout lieux, de sorte qu’il
est difficile de soutenir que nous nous trouvons là en présence de phénomènes
extraordinaires [litt. = « isolé, irrégulier, anormal »]. Pourquoi donc
les occidentaux en déduisent-ils une doctrine nouvelle, dans ces circonstances
précises ? Alors qu’auparavant nul n’avait jamais songé à le faire !
La vérité [à ce sujet] est qu’ils se sont
révoltés contre le matérialisme dominant dans le monde, et qu’ils ont [alors]
pensé créer un moyen secret en vue d’occasionner sa ruine.
Si
nous estimons que leur but paraît être louable, par contre nous désapprouvons
les moyens mis en œuvre pour l‘atteindre.
En
vérité le mensonge [litt. = « le vain,
le faux »] constitue toujours un mal, c’est pourquoi nous ne pouvons accepter ici que la fin justifie les moyens,
comme certains le prétendent.
En
fait, lorsque le moyen n’est pas totalement approprié [litt. = « apte », mais aussi
« vertueux »], il se retourne le plus souvent très rapidement contre
la fin souhaitée.
Maintenant
si la forme de la vie post mortem est imaginée comme étant identique à celle de
la vie de la vie corporelle sur terre – ce qui se trouve être le cas pour les
adhérents à cette nouvelle doctrine – [alors] il nous est possible de
considérer ce que l’on nomme « spiritisme » comme étant un autre
genre de matérialisme, même [encore] plus nuisible [que le matérialisme
proprement dit], puisqu’il suggère des illusions ou représentations imaginaires
sur sa nature véritable, telles qu’il parvient à influencer ceux là mêmes qui
refusent [par ailleurs] les opinions
courantes ouvertement matérialistes.
Il
comporte de plus un autre danger [pour comprendre celui-ci] il suffit de
constater combien d’individus – par l’entremise de ce que l’on appelle la
« communication avec les morts » - ont été atteints de folie, de
dégradation, ou même finissent par se suicider.
[En
raison de tout cela] nous sommes en droit de déclarer qu’un pareil
enseignement, qui provoque de telles conséquences, constitue une malédiction
pour le genre humain.
Cette
contagion grave, qui a profondément pénétré la mentalité d’un grand nombre de
personnes d’intention droite, ce danger [disions-nous] se propage en Orient.
Nous
n’exagérons nullement lorsque nous affirmons qu’il atteint même
l’Extrême-Orient. En effet, nous observons, depuis quelques années,
l’apparition en Indochine d’une nouvelle religion, appelée
« caodaïsme », dont les partisans prétendent que ses enseignements
sont transmis, non par le canal d’une révélation divine, mais par une
« corbeille à bec ».
Il
faut que le lecteur comprenne bien que nous
sommes loin de nier la réalité de ces phénomènes de toutes sortes, dans lesquels les
« spirites » trouvent confirmation de leur vues.
Ces
phénomènes, comme nous l’avons déjà dit, furent connus de tous temps par les
anciens, lesquels possédaient à leur sujet bien plus de connaissance que ceux
qui s’y intéressent de nos jours. Ce que nous rejetons, c’est l’explication
moderne donnée à ces réalités que l’on voudrait imputer aux agissements
d’ « esprits purs », termes destinés à désigner les
individualités humaines ayant quitté le monde de l’existence terrestre.
Comment
une pensée saine pourrait-elle admettre que les « esprits purs » en
question puissent déplacer une table ? Qu’une force occulte puisse
s’exercer sur la main de quelqu’un pour lui faire tracer des caractères, des
dessins ou d’autres choses semblables ?
De
telles assertions ne font que révéler une ignorance, devenue à peu près générale
à notre époque, des différences relatives aux conditions particulières des
états distincts de l’être.
Il
nous faut ici rappeler que s’il demeure possible à l’homme d’entrer en rapport
avec les « esprits » – humains ou autres – cela ne peut se faire
qu’après qu’il se soit éveillé lui-même à celui d’entre ses propres états
d’être qui est en correspondance avec l’état dans lequel se trouvent effectivement
ces « esprits ». Mais ceci est une autre question, n’ayant aucun lien
avec les enseignements et les pratiques du « spiritisme ».
[Pour
revenir aux phénomènes en question disons qu’] en réalité, il existe de
nombreux facteurs, et des plus variés, qui peuvent les provoquer, selon
diverses circonstances.
Il
importe de soigneusement distinguer ces facteurs auxquels nous feront
maintenant brièvement allusion. [En effet] il est impossible d’en donner des
explications détaillées dans le cadre de la présente étude :
1. Parmi ces facteurs des plus
courants, intervenants dans des circonstances souvent isolées [singulières], il
y a ceux qui proviennent des facultés mentales de l’homme, facultés
susceptibles d’une extension bien plus étendue que ne l’imaginent les
psychologues modernes ou ceux qui s’intéressent à l’étude des états
paranormaux.
Ces
pouvoirs [litt. = « facultés, pouvoirs, énergies, forces… »] sont
latents en chaque homme. Ils ne s’éveillent et s’éploient naturellement qu’à
l’occasion de circonstances exceptionnelles. Il reste cependant possible de les
éveiller artificiellement, dans le cas de certains individus, en plaçant ces
derniers dans des états spéciaux, comme par exemple, ceux connus sous
l’appellation générique du « sommeil hypnotique » [litt. = « sommeil
magnétique »].
Placé
dans cet état, l’homme peut ressentir certaines choses sans que son corps ne se
trouve en contact avec elles. Il lui devient
également possible de les déplacer
[à distance], de voir des choses cachées à ses sens habituels ou situées
loin dans le temps ou l’espace, et encore bien d’autres choses.
Il
est impossible, sauf à un matérialiste au sens étroit du terme, d’affirmer que
l’homme est réduit à des limites analogues à celles de son corps.
Cependant
les « spirites » - pour reprendre la terminologie qui s’est
introduite dans la philosophie occidentale -
doutent fort dans la capacité de l’être humain à supporter ce qui
pourrait dépasser le niveau de ses facultés corporelles, ou de celles [de ses
facultés] qui sont étroitement liées aux corps, et qui se manifestent dans la
vie ordinaire de tout individu.
Par
ailleurs il nous faut rappeler que ce que l’on nomme facultés paranormales [litt.
= « extraordinaires »]
n’ont en réalité rien de spirituel, pas plus que les facultés ordinaires.
La
conception qui représente l’homme vivant comme étant constitué seulement de
deux parties ou éléments – et qui s’est répandue dans la philosophie moderne en
particulier et dans la pensée occidentale en général - [cette conception] est la cause du désordre
[dont nous parlons]. Elle a plongé les gens dans l’ignorance de la distinction
fondamentale du psychique et du spirituel.
Ainsi
la nature du pouvoir qui se manifeste chez les individus plongés dans le
sommeil hypnotique – lesquels ne sont autres que ceux que les
« spirites » appellent les « médiums » - n’est aucunement
« spirituelle », mais bien entièrement « psychique ».
Elle
est propre aux états que l’on peut qualifier de plus subtils par rapport aux
états ordinaires. Ainsi qu’ils possèdent plus d’ampleur et se situent à un
niveau supérieur dans les degrés de l’existence. Ainsi qu’il convient également
que se situent [a fortiori] les états spirituels [eux-mêmes].
Toutefois
[à la différence des états spirituels] ces pouvoirs en l’homme concernent le
développement de la perception naturelle [litt. = de l’ « élargissement » (i.e.
horizontal)], non [celui] de la perception transcendante [litt. = de l’ « élévation » (i.e.
vertical)].
Ces
états psychiques – qui se manifestent soit pendant le sommeil hypnotique soit
dans certains états [proprement] psychopathologiques – se trouvent à l’origine
de ce que les psychologues nomment à tort : « les personnalités
multiple », du fait qu’elles ne présentent pas de lien avec les états
ordinaires. Il se pourrait que cette dénomination ne soit due qu’à un choix
malencontreux de mots. Si toutefois tel n’était pas le cas, nous serions en
présence d’une erreur scandaleuse, car aucune intelligence ne peut concevoir un
homme vivant pourvu de plus d’une [seule] personnalité.
La
vérité est que tous les états de l’être ne sont que des théophanies partielles
d’une seule et même personnalité immuable. Il est exact que dans ses états
ordinaires, l’homme n’a point conscience des actes qu’il peut accomplir – ni
des connaissances dont il peut bénéficier – dans d’autres états. Il est très
aisé de comprendre cet état de fait, puisque l’état habituel se trouve être
parmi les états [possibles], celui dont le domaine reste le plus étroit, ne
s’appuyant que sur les conditions corporelles. Les autres états jouissent, quant
à eux, d’une liberté absolue (1).
Nous
ne nous étonnerons point à ce sujet si nous pensons seulement à la différence,
ordinairement existante pour chaque individu entre la conscience dans l’état de
veille et celle dans l’état de sommeil. Il nous faut orienter notre recherche
vers un seul point : à savoir que tout ce que l’on nomme
« phénomènes » trouve leur origine soit dans les facultés mentales –
pour les états ordinaires – soit dans les facultés appartenant aux autres états
psychiques [dans les autres cas].
Ces
phénomènes ne représentent que la partie visible [ou extérieure] de l’être. Il
est clair, si l’on considère les termes, que les phénomènes – de quelque genre
ou degré qu’ils soient – sont entièrement de l’ordre du visible [litt. =
« extérieur » (2)] et aucunement de l’ordre de l’invisible [litt. =
« intérieur »].
C’est
dire qu’ils constituent des modifications superficielles de l’être et non des
éléments constitutifs de son essence intérieure profonde.
Les
facultés que l’on pourrait adéquatement qualifier d’ « intérieures »
doivent être recherchées dans des états totalement différents des états
psychiques. Elles sont beaucoup plus élevées que les phénomènes, qu’ils soient
d’ailleurs ordinaires ou paranormaux.
2. Si nous revenons aux états
psychiques dont nous avons parlé, il nous faut préciser que, dans ces états
comme dans l’état ordinaire, l’être humain est entouré de différentes forces
actives, plus subtiles que celles du monde corporel et sensible.
Certaines
forces sont analogues – et non identique – à des forces comme, par exemple,
l’électricité. Il n’échappe à personne que l’existence de telles forces puisse
être déduite par le physicien ordinaire à partir de leurs effets sensibles.
Ces
forces psychiques que les « taoïstes » chinois nommaient les
« influences errantes », obéissent à des lois analogues aux autres
lois naturelles. Sans doute, elles furent l’objet d’études et ainsi il fut
possible de les rassembler et de les fixer selon des conditions précises. Elles
produisent alors des effets qui peuvent sembler étranges à ceux qui ignorent
ces choses, semblables en cela à la manifestation de l’action de l’électricité
aux yeux de ceux qui ignorent les sciences naturelles [physiques].
J’ajouterais
que lorsque l’homme se met en rapport avec de telles influences, il peut sans
en être conscient revêtir momentanément une personnalité apparente lors de
l’éclipse de la sienne propre. Ainsi par ce fait, il devient possible de
trouver l’explication de plusieurs phénomènes [attestés].
Nous
pouvons percevoir ici l’une des causes des dangers auxquels succombent ceux qui
pratiquent le « spiritisme » ou ce qui s’y apparente. L’individu
s’expose à des influences susceptibles d’induire en lui de nombreux états,
lesquels provoquent dans son être intime des éléments de perturbation et de
déséquilibre psychique. [Ces influences] le mènent parfois vers une forme de
solitude et d’autisme. Il nous est possible de trouver un exemple de ce repli [litt.
= « solitude »] dans certains cas de ce que l’on nomme
« personnalités multiples » auxquelles nous avons déjà fait allusion.
Ces
dangers ne doivent point être sous-estimés. Il pourrait bien s’avérer
impossible à éviter lorsque les individus entrant en rapport avec ses forces
ignorent totalement leur [vraie] nature. Tel est [bien] le cas pour la grande
majorité de nos contemporains, particulièrement les « spirites »,
lesquels sont en réalité semblables à des enfants jouant avec le feu.
3. L’homme dans son état mental ou
psychique se trouve en rapport – comme c’est aussi le cas dans ses états
ordinaires – avec d’autres êtres situés [justement] dans des états s’accordant
aux siens. Nous pensons ici, par « autres êtres », à d’autres êtres
humains. C’est cela même qui advient aux participants dans les séances
spirites. Sans désir de leur part et à leur insu, ils étendent leurs pensées au
médium. Ces pensées sont non seulement en rapport avec la réalité du moment,
mais aussi le plus souvent d’anciennes pensées oubliées depuis fort longtemps
sont présentées, lesquelles se réverbèrent furtivement, provoquant leur grand
étonnement lors de leur découverte.
Il
est également possible à des individus absents d’entrer en communication avec
eux, à quelque distance qu’ils se trouvent, pourvus qu’ils soient dans un état
semblable [à savoir] détachés de tout lien corporel.
Cette
expérience peut se dérouler avec la conscience des participants ou encore sans
qu’ils ne s’en aperçoivent. La première éventualité a lieu dans de rares états
et pour des individus ayant des connaissances spéciales et opérant dans un but
défini. Tel fut le cas au début du mouvement spirite.
La
deuxième éventualité reste la plus commune. Elle a lieu lors de la
communication qui advient à n’importe quel individu – surtout durant son
sommeil.
Il
convient d’ajouter à ce qui vient d’être dit qu’il existe certains phénomènes
dans le [règne] animal – Les animaux ayant eux aussi des états subtils qui
affectent leur être propre.
4. Dans certains cas des phénomènes
– naturels ou intentionnels – sont provoqués par des éléments provenant
réellement de personnes défuntes. Mais il ne s’agit aucunement de
communications effectives avec leurs véritables personnalités. Ces éléments ne
sont que des résidus psychiques semblables aux résidus corporels que le défunt
abandonne à la suite de la décomposition [de son organisme].
Car
dans l’ordre psychique des éléments demeurent attachés à ce qui est éternel
dans l’être (3). Ces éléments sont [toutefois] plus proches de l’état corporel
[grossier]. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils peuvent donner naissance
à des influences sensibles. Ces résidus psychiques représentent la réalité des
états spéciaux [les influences errantes] dont nous avons parlé auparavant.
Si
nous les mentionnons maintenant, c’est parce que tous leurs effets peuvent être
interprétés comme étant des manifestations sensibles provoquées par des
personnes défuntes, mais toutefois en un sens totalement différent de celui
qu’entendent [les spirites].
De
tels éléments peuvent très bien prendre un support provisoire pour [intervenir
dans] la vie et fournir des réponses [par le moyen d’accessoires divers]
contraires à certaines idées professées par l’individualité même à laquelle ils
étaient auparavant liés.
Ce
spectre de la personne – si l’on peut ainsi s’exprimer – correspond à ce que
les anciens juifs nommaient l’ « ob », comme on peut le lire dans
certains livres sacrés. [Cet ob]
donna des réponses aux cours d’ « évocations » mises en œuvre par
beaucoup de personnes, même si la religion les interdit de façon générale.
5. Enfin pour ne rien omettre, il
nous faut mentionner la possibilité d’intervention de ces êtres qui n’ont point
de vie corporelle. Ces êtres, considérés comme non-humains, ne sont pas de
nature purement spirituelle. Au contraire, ils sont très proches du monde
sensible. C’est [d’ailleurs] pour cette raison qu’ils peuvent parfois provoquer
des effets dans ce monde [sensible]. Nous voulons ici faire spécialement
allusion à l’action des djinns.
Toutefois ce n’est point le lieu de s’étendre sur ce sujet.
Comme
il n’existe rien de spirituel dans toutes ces choses [dont nous parlons] – rien
de plus que ce qui est en rapport avec la vie terrestre – inutile de préciser
que l’on ne peut les comparer aux autres réalités appartenant à un ordre
différent, comme [celui de] la révélation [pour] les prophètes – que la Paix
soit sur eux – ou d’un ordre moins élevé, comme celui du pouvoir réservé aux « saints »
– qu’Allah soit satisfait d’eux. Autant de choses qui ont leur origine dans le
monde spirituel.
Nous
devons constater que ces principes divergent quant à leur réalité, mais
présentent des similitudes quant à leurs manifestations extérieures.
Là
encore il s’agit d’une autre question, à savoir celles des influences
spirituelles, laquelle n’a pas de rapport avec le sujet traité ici.
Mais
quant aux phénomènes psychiques, nous dirons ce qui suit :
Certains
occidentaux qui n’acceptent pas le « spiritisme » comme une simple
théorie, mais veulent le promouvoir au rang d’une science, essayent par tous
les moyens de découvrir des choses qui étaient parfaitement connues des
communautés orientales des temps révolus. Ils parviennent [de ce fait] à
remarquer certaines réalités, mais demeurent incapables d’en trouver
l’explication ; alors qu’existent bien, comme nous l’avons succinctement
montré, tous les éléments nécessaires à la compréhension de ces réalités et
même à de nombreuses autres réalités dont ils n’ont pas la moindre idée.
En
conclusion : Quiconque désire connaître la vérité sur de tels sujets ne
pourra trouver satisfaction (4) dans les recherches occidentales modernes. Il
doit pour cela revenir aux connaissances orientales traditionnelles (5).
(Revue
al Ma’rifah - juillet 1931)
**********
(1) – Cela sous-entend sans doute « par
rapport à ces conditions corporelles », car il paraît difficile de
concilier une « condition quelconque » (puisqu’il s’agit ici d’
« états ») avec la liberté absolue, comme nous l’enseigne René Guénon
lui-même.
(2)
- En arabe « phénomènes » et «visible ou extérieur » sont des
termes de même racine.
(3)
– René Guénon fait ici implicitement référence à la notion du luz.
(4)
– Litt. = « trouver sa chose
perdue » - référence au hadith suivant « La sagesse est la chose perdue
du croyant – Là où il la trouve qu’il la prenne. »
(5)
– Litt. = « ancien », mais qui
dans ce contexte doit être rendu par « traditionnel ». Cette dernière
remarque est de Jean Foucaud.
Le spiritisme – Réponse à une objection
Si
le professeur Farîd Bek Wajdî avait lu ce que nous avons écrit, depuis près de
dix ans [1923], au sujet du « spiritisme » il se serait épargné la
peine de réunir les remarques qu’il a fait paraître dans le dernier numéro de
la présente revue. En effet, nous avions [déjà] répondu à chacune d’entre elles
de façon complète et plus longuement qu’il ne nous sera possible de le faire
dans ces quelques pages. Malgré ce fait, nous tenterons une nouvelle fois de
définir notre position sur un tel sujet, de sorte que l’agitation que provoque
cet exposé n’est plus lieu d’être.
Il
nous faut tout d’abord admettre que depuis le début de ce que l’on a nommé les
temps modernes – c’est-à-dire depuis trois ou quatre siècles – les occidentaux
ont douté de toutes les connaissances des anciens. Cela eu lieu du fait qu’ils
ne saisirent pas parfaitement la signification et la nature de ces
connaissances. Parallèlement, il semble qu’ils ne pouvaient admettre quoi que
ce soit en dehors du cercle des expériences sensibles.
La
conséquence naturelle d’une telle attitude fut l’apparition et la propagation
du matérialisme, ainsi que l’élargissement du cercle des recherches de façon
inhabituelle dans le domaine des sciences particulières se rapportant à la
seule matière.
Cet
état de fait n’existait que dans le seul Occident. L’Orient, par chance, n’a
cessé jusqu’à nos jours de préserver sa connaissance traditionnelle.
Il
n’a pas accepté ces limitations aberrantes ni agréé [litt. = « avaler,
gober »] non plus les enseignements de Francis Bacon ou ceux de Descartes,
lesquels n’éclaircissent rien pour les intelligences pures [litt. = « sans
taches »] orientales. Nous voulons parler de celles qui ne se laissent
point influencer par les poisons des idées occidentales.
Maintenant
l’idée, [née et] répandue en Occident, de combattre le matérialisme au moyen de
la science matérielle même est [manifestement] erronée. Elle ne mènera à aucune
réussite. Car ses moyens n’ont aucune valeur exceptée à l’intérieur d’un
domaine particulier et très restreint. Une fois ce domaine dépassé, ces moyens
perdent toute valeur.
Il
semble que cette idée est née de la croyance [litt. = « imagination fausse »]
que de tels moyens [scientifiques] soient les seuls sur lesquels on puisse
compter pour combattre le matérialisme. Mais cela encore ne constitue que des
[vaines] imaginations occidentales.
En
réalité, nous possédons d’autres sciences dont l’importance et l’authenticité
ne sont pas moindres que celles qui précédèrent, qui recourent à des moyens
totalement différents et qui restent inconnues des occidentaux modernes.
Cela
dit, il nous faut à présent distinguer entre la réalité des phénomènes
paranormaux que nous évoquons ici et les diverses explications qui en furent
proposées par ailleurs.
Nous
nous étonnons beaucoup que le professeur Farid Bek Wajdî persiste à revenir sur
le premier aspect de la question, puisque nous avons affirmé que la réalité des
« phénomènes » ne souffrait aucun doute et qu’ils furent connus de
tous temps et sur tous les continents. [En effet] de tels phénomènes sont
partout attestés et ne sont en rien exceptionnels. Ils présentent des variétés
plus nombreuses que celles qui ont pu être observées par les occidentaux,
« spirites » ou non, qui tentent d’en faire l’étude.
Nous
regrettons que le professeur Farid Bek Wajdî énumère, à propos de cette
affaire, plusieurs noms de savants européens et américains qui s’adonnèrent à
cette étude. Comme si nous étions dans l’obligation d’accepter ce que nous
suggèrent [litt. = « nous dictent »] ces savants. Nous éprouvons du
regret car il ne nous est pas possible d’accepter que l’Orient puisse se croire
obligé de suivre les occidentaux et d’accueillir leurs enseignements, surtout
en ce qui concerne des domaines dont la réalité n’a cessé d’être connue en
Orient, alors que l’Occident ne fait seulement que des recherches à leurs
sujets. Il est à peine nécessaire de préciser que ceux qui cherchent [à
connaître] certains sujets sont bien ceux qui ne connaissent pas [encore] leurs
réalités.
De
plus il importe de souligner que les individualités mentionnées [par le
professeur Wajdî] ne sont pas d’égale[s] valeur[s]. Il ne nous est pas possible
de placer sur un même niveau un [physicien] respectable comme William Crookes
et un autre que nous considérons comme un vulgarisateur [litt. =
« commerçant avec les sciences »], tel Camille Flammarion. Ajoutons à
cela que si certaines d’entre ces individualités ont accepté le
« spiritisme », la plupart d’entre elles ont divergé quant aux
théories professées, et parfois se sont même abstenues d’adhérer à une
quelconque explication.
Nous
trouvons [également] parmi celles qui ont
adopté le « spiritisme », des personnes dont l’activité scientifique
n’a aucun rapport avec la question. Tel est le cas de César Lombroso et Oliver
Lodge.
Le
premier s’est occupé de « spiritisme » à la suite du décès de sa
mère, et le deuxième après celui de son fils à la guerre. Ces faits nous
montrent que de tels hommes, nonobstant l’érudition qui est la leur dans leurs
domaines propres possèdent une opinion de faible valeur [litt. = « une
parole de peu de poids »].
Il
convient d’ajouter à ce qui précède que les connaissances de certains savants
ne les empêchent pas de se laisser impressionner par des phénomènes
artificiellement provoqués. Ce qui arriva à William Crookes avec son médium
Florence Cook et advint récemment à Charles Merichi[h] en Algérie. Il est
facile de comprendre pourquoi cela est possible lorsque l’on pense que ces
individus se trouvent dans ces situations, loin des limites propres à leurs
sciences. Ils n’ont pas plus alors de compétence que n’importe quel autre
ignorant. Il se pourrait même qu’ils tombent plus facilement que quiconque dans
l’erreur, car dans ce cas particulier ils mènent des expériences sur des choses
dont la nature et les lois diffèrent totalement de celles auxquelles ils sont
accoutumés. De plus, ils déploient leurs moyens habituels face à ces choses,
moyens qui ne sont absolument pas appropriés.
[Maintenant]
que devons-nous dire à propos de ce riche commerçant, qui vendait des
spiritueux (1), Jean Meyer, et qui vient de mourir il y a seulement
quelques mois ? Cet homme a dépensé de nombreux millions en ambitionnant
de devenir un jour le pape (2) du « spiritisme ». Il déclara une
guerre impitoyable à ceux de ses « frères en religion » qui s’étaient
proposé de fonder des universités et des bibliothèques indépendantes. Ces
derniers furent contraints à s’incliner face à la puissance financière. Tout
cela se déroula naturellement au nom de la « fraternité et de la
fraternisation ».
Ce
même individu fonda à Paris un institut « scientifique » dans le but
de soumettre à son pouvoir les chercheurs indépendants ; nous voulons
parler de ceux qui n’adhéraient pas au « spiritisme » ; en leur
concédant des aides financières de sorte qu’ils ne soient plus en mesure de
proposer une autre explication que le « spiritisme ».
En
réalité, nous trouvons affligeant d’être obligé de rendre publics de tels noms
et faits dans les pages de cette revue que nous estimons trop digne pour la
mention de tels actes.
Quant
aux dangers résultants du « spiritisme », nous assurons le professeur
Farid Bek Wajdî que la folie et autres inconvénients qu’il provoque ne sont
aucunement exceptionnels, mais adviennent en fait très fréquemment.
S’il
nous objectait que ces choses n’adviennent qu’aux personnes dépourvues
d’instruction, nous répondrions qu’en réalité ces dernières constituent la
majorité des « spirites », et cela sur tous les continents. Nous
n’avons pas le droit de laisser ces gens exposés ainsi sans protection à de
tels dangers nés de la propagation de pensées néfastes, alors qu’ils sont prêts
à les accepter sans examen approfondi (3). Il faut même que ce soit tout le
contraire.
Nous
ajouterons de plus que nous ne pensons absolument pas que les enseignements
extérieurs [litt. = « du dehors » (i.e. « superficiels »)]
qui résultent des établissements et universités occidentales, puissent du tout
protéger leurs étudiants des dangers dont il s’agi. Et cela en raison du fait
que ceux que l’on nomme les «
enseignants », et même les plus célèbres d’entre eux les
« savants » ignorent totalement les choses que nous sommes en train
d’examiner ici.
Quant
à l’explication des phénomènes par le pouvoir propre du « médium »,
cela est exact. Toutefois nous ne sommes pas tenus de l’accepter ou de la nier.
Car
certains occidentaux se sont autorisés à voir là une chose nouvelle. Ils ont
ainsi affirmé des choses – sans aucune connaissance de leur part – qui ne sont
pas du tout nouvelles. Elles étaient même connues en Orient depuis des
millénaires. Malheureusement nous constatons que les occidentaux les
comprennent de manière très limitée, du fait de l’insuffisance de leur
connaissance sur la nature réelle de l’homme et de ses pouvoirs. C’est pourquoi
ils s’avèrent incapables d’utiliser cette explication [par le pouvoir du
médium] dans de nombreuses situations qui correspondent tout à fait [à ce
pouvoir].
L’on
ne doit point soutenir que les forces jouant un rôle capital dans la naissance
de ces phénomènes soient mentales [litt. = « rationnelles »]. Non
pas, ce sont là des forces psychiques qui en diffèrent totalement, et dont la
portée et la signification sont plus larges.
Mais
il nous faut répéter qu’elles sont de nature psychique et aucunement
spirituelle. Elles sont semblables à ces éléments que l’homme abandonne après
sa mort, et qui n’ont pas de lien avec la partie perpétuelle de son être.
Nous
insistons sur ce point – bien que nous l’ayons clairement exprimé auparavant –
car le professeur Farid Bek Wajdî prétend que nous parlons de ces forces comme
étant des éléments spirituels.
Lorsque
nous affirmons qu’elles sont subtiles et ne font pas partie des énergies
résidant dans le corps [proprement dit] ni de celles qui se trouvent dans le
monde corporel et sensible, c’est-à-dire de celles faisant l’objet des études
menées par les sciences médicales modernes, [nous parlons] de celles qui sont
issues de la nature psychique. Car l’expression de « monde subtil » est
une traduction littéraire de l’expression indienne qui désigne le « monde
psychique ». C’est ainsi qu’on la formule pour la comparer au monde
sensible. Elle ne peut jamais qualifier le « monde spirituel ».
De
toute manière, les forces agissantes dans ces phénomènes – qu’elles soient
propres au médium lui-même, à tout autre être vivant, ou encore à d’autres
forces extérieures telles les influences errantes ou émanant d’êtres vivants
comme les djinns – sont très proches
du monde sensible. Elles doivent être réellement considérées comme étant de
nature déchue. Or les influences spirituelles ne s’associent pas à ces
situations. Même si le professeur Farid Bek Wajdî affirme cela… il nous fournit
cependant une raison valable pour confirmer ce que nous disons. Nous sommes
[même] obligé d’insister, car notre négation à ce sujet est absolue. Il infirme
ainsi lui-même tout ce qui pourrait nous contraindre à admettre la
manifestation de la personne d’un défunt. Même s’il ne nous faut pas qualifier
de mensonge [pur et simple] cette manifestation. Tout comme lorsque l’on voit
un singe imiter les mouvements de l’homme.
Ces
forces puisent leur apparence sensible des personnes parmi lesquelles elles se
manifestent. C’est la raison pour laquelle les pensées communiquées par ces
forces correspondent complètement aux idées habituelles des personnes composant
l’assistance. Cela nous explique [également] pourquoi ceux que l’on appelle les
« esprits » se contredisent.
Prenons
un exemple : alors que se propage la doctrine de la « réincarnation »
[litt. = « revêtir des vêtements différents »] en France – à laquelle
n’adhèrent pas les spirites en Angleterre et en Amérique – nous voyons des
« esprits » matérialistes, dans certains messages communiqués en
Hollande depuis vingt ans, nier l’éternité (4) et affirmer que la vie de
l’homme ne persiste après la mort que pour une durée maximale de cent cinquante
ans.
Il
nous faut à présent ajouter ce qui suit :
Il
existe des réalités qui échappent aux moyens [mis en œuvre] par les sciences
occidentales modernes et matérialistes. C’est pourquoi l’on dit d’elles
qu’elles ne sont que fables issues de l’imagination des anciens. Alors qu’en
fait elles constituent des passages [litt. = « issues »] menant à un
autre genre de sciences qui diffèrent totalement des sciences matérialistes. Et
cette (5) science traditionnelle [litt. = « ancienne »], il convient
que nous la qualifions de science authentique.
Nous
ne craignons pas d’affirmer l’existence d’âmes propres aux corps célestes et
ayant une influence effective sur les événements terrestres.
Nous
ne craignons pas non plus de reconnaître, comme nous l’enseignent les anciens,
que les éléments ne sont pas au nombre de quatre, mais de cinq et qu’il n’en
existe ni plus ni moins.
Nous
disons que ces éléments n’ont aucun rapport avec ce que la chimie moderne nomme
« les éléments [litt. = « matériaux »] premiers simples ».
[En effet] les cinq éléments ne sont point des corps, mais c’est à partir d’eux
que sont formés les corps.
Nous
ne pouvons accorder aucune importance – au regard de la véritable connaissance
– aux sciences modernes, lesquelles s’avèrent constamment changeantes et non
assurées dans leurs explications. Si nous acceptons cependant les résultats
pratiques qui procèdent de plusieurs découvertes [litt. = « choses »]
comme par exemple [celle de] l’électricité, sans que [la « science »]
n’en connaisse la nature, nous ne donnons pas le nom de « science »
[à ces résultats], nous les qualifierons seulement de technique.
Nous
ne pouvons partager avec le professeur Farid Bek Wajdî ses espoirs concernant
les recherches occidentales, qui nous apparaissent devoir être des analyses
interminables, superficielles et sans profit [véritable].
De
même nous voyons que le progrès de ces recherches mène à l’opposé de tout ce
qui peut être de nature spirituelle, et nous ne doutons pas de la difficulté et
même de l’impossibilité de parvenir par ce moyen à ouvrir la voie vers le monde
spirituel.
Si
malgré tout nous supposions l’advenue d’une telle éventualité, par quelque
moyen que ce soit, cela provoquerait [assurément] la fin de la science moderne
et de la civilisation telle que la conçoivent les occidentaux. Et cependant il
reste très improbable que ces derniers y parviennent.
Finalement
nous dirons que l’Orient se doit de préserver sa science propre, laquelle est
la plus vraie, plus parfaite et plus universelle [litt. = « s’étendant
plus à toute l’existence »], au lieu de voir son champ réduit au seul
monde de la matière.
Nous
ne vivons pas, comme l’imagine le professeur Farid Bek Wajdî, à une époque
autre que la nôtre. Car notre temps diffère de celui des occidentaux. Alors
qu’eux rêvent [de « progrès »], jusqu’à ce qu’ils se réveillent au
son d’une calamité, nous savons que l’âge d’or se trouvait en vérité au début
de l’histoire humaine. Toute la connaissance fut donnée à l’homme au début,
puis s’est occultée, par rapport à lui, progressivement au cours des époques,
se déplaçant [insensiblement] du monde de l’esprit à celui de la matière.
En
dernier lieu, nous savons que ces raisons influencées par la mentalité [litt. =
« pensée »] occidentale ne cesseront de nous accuser de soutenir des
fables. Cela n’a pour nous aucune importance. Notre discours ne s’adresse pas à
de telles personnes, mais aux véritables orientaux qui persistent toujours à
être – comme il le leur incombe – les gardiens de la sagesse éternelle.
(Revue
al Ma’rifah - septembre 1931)
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(1)
– Boisson spiritueuse fabriquée avec des dattes, raisins secs, etc… se dit des
alcools et vins.
(2)
– C’est bien l’expression qu’utilise René Guénon.
(3)
– Nous voyons là s’exprimer un « souci du prochain » que beaucoup de
lecteurs de l’œuvre n’ont pas su percevoir.
(4)
– Litt. = « persister, se conserver sans fin ». Cette nuance est ici
précisée car plusieurs termes désignent l’ « éternité » en arabe.
(5)
– Le texte arabe passe bien à cet endroit du pluriel de
« sciences » au singulier « cette science ».
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Signalons
que le texte de la version traduite de ces deux articles par M. Jean Gouraud a
été mis en ligne sur ce site internet:
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